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Chadli ben Chélia qui domine ses hôtes de sa prestance princière, complimente le cheick de savoir perpétuer la tradition musulmane de sagesse, simplicité et charme.

— Lorsque je parle ainsi, continue-t-il avec un sourire aigu, ce n’est pas que j’ignore l’ancien Tortoni et les cafés boulevardiers. Il me souvient aussi d’avoir reçu un morceau de sucre de l’impératrice Eugénie à une réception des Tuileries. Je n’étais pas alors le vieil homme que vous apercevez, mais un cavalier très vif. Revenu vers Dieu, j’estime que lui seul vaut qu’on s’incline à son service. Toutes les œuvres de gouvernement humain sont vaines. Pourtant j’appartiens à une race puissante, aujourd’hui brimée, qui sut commander. Que la volonté du Rétributeur soit faite !

À ces mots, Ben Chélia incline le front jusqu’à lui faire toucher sa canne ; puis, relevé dans toute la majesté de sa stature, il me dit avec le plus affable des sourires :

— Il est entendu que vous viendrez visiter Nedromah. Vous excuserez ma réception, car je n’y administre plus que ma pauvre âme dont on ne put encore me dépouiller.

Après une grimace, celle d’un malade prenant un amer opiat, Chadli continue :

— Venez parcourir cette Nedromah, l’une des dernières villes où s’aperçoive un reflet de nos mœurs musulmanes, cette Nedromah, capitale des Traras, dont Allah nous retira le commandement.

Le vieillard nous salua le plus galamment du monde et sortit avec la pompe d’un acteur quittant la scène où il vient de tenir le rôle du héros. Lorsque Ben Chélia traversa le « sehan[1] « de la mosquée, plusieurs fidèles baisèrent au passage la main qu’il laissait pendre et il abaissait sur eux ses regards rendus langoureux par les cernes artificielles de ses paupières.

— Depuis combien de temps ce Sidi prétend-il au maraboutisme ? interroge le professeur Tahar.

Sur les lèvres dodues d’El-Djamii fleurit un sourire, et il répond avec un geste bénin de ses grosses petites mains :

— Le temps ne fait rien à la chose. Il n’est que de bien se lancer dans les œuvres de piété pour atteindre vite jusqu’à la

  1. Cour à galerie dans une mosquée.