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Sur cette déclaration, El Djamii nous salue afin de prendre congé, en ouvrant comme de larges ailes les côtés de son burnous, et son geste découvre sa gandourah fleur de pêcher aux petits boutons d’argent. Pendant qu’il s’éloigne à reculons, le cheick, exquisement poli, s’incline encore plusieurs fois. Sous la coupole obscure, il semble bientôt aussi diaphane qu’une vapeur. Il se dissipe enfin, comme une nuée, derrière les piliers de la mosquée.

A cet instant, de la chapelle aux tombeaux, sortent en courant sur la pointe de leurs orteils, une douzaine de fillettes aux doux yeux de chevrettes. Des « foutahs « rayées de cerise, d’azur ou d’émeraude moulent la cambrure de leurs reins. Leurs sourcils en arc semblent tracés à l’encre de Chine sur leurs fronts d’ambre. Elles tourbillonnent autour de la fontaine aux ablutions, s’y trempent les mains et le visage avec des cris d’hirondelle ; puis, comme de petites danseuses, les bras remontés en anse jusqu’à toucher leurs cheveux dont les nattes frétillent, elles bondissent autour des musulmans en prière, immobilisés dans la contemplation du grand œil bleu du mirhab Pas un de ces fidèles ne s’offense de leur sarabande. Reconnaissent-ils la grâce de Dieu dans le jeu de ces fillettes, qui, plus tard, houris délectables, seront promises aux élus de Mohamed ?


Par cette matinée printanière, penché sur les merlons du minaret de Nedromah, la ville de Chadli Ben Chélia, Seigneur des Traras, m’apparait. Nous touchons à la frontière marocaine. Nemours, dernier port d’Algérie, scintille au Nord. Vers le Sud, la montagne encapuchonnée de brumes semble vouloir protéger sa tête bleuâtre avec des haïks de lin. La cité berbère, chère aux anciens sultans de Tlemcen, se découvre à vol d’oiseau et les maisons, aux façades aveugles sur leurs ruelles, révèlent leurs secrets. Il faut l’audace d’un « roumi » pour oser scruter ces intérieurs musulmans où l’existence intime des Nedromi se dévoile. Par douzaines, les patios délicieux de blancheur à travers leurs treilles, s’encadrent entre les portes-fenêtres de leurs chambres. Près d’un pampre tortillé, une svelte musulmane, en toge d’un violet de campanule, crible de l’orge. Elle tient son tamis à bout de bras, et, persuadée qu’elle joue