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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/689

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et quelques sièges dépareillés achevaient de garnir cette pièce empoussiérée.

Chadli prit place sur son banc avec la superbe d’un khalife montant à son trône.

— Voilà ce qui me reste de mon royaume, prononça-t-il. Les volontés de Dieu sont insondables. Qu’il soit remercié ! Jadis, les trente-cinq mille habitants des huit tribus ressortissant à Nedromah tenaient dans les mains des Chélia, et, aujourd’hui, il ne me reste de pouvoir que dans cette canne. Que Mohamed, mon maître, soit loué ! Jadis mes aïeux, à la tête de cinq cents cavaliers, pouvaient recevoir avec faste le sultan de Tlemcen, quand il venait en pèlerinage à notre mosquée ; maintenant, je puis offrir une chaise usagée à mes visiteurs. Allah soit glorifié ! Jadis les Chélia, vrais suffètes puniques, avaient droit de vie et de mort sur leur peuple : aujourd’hui, je salue votre garde-champêtre, car je puis tout redouter de sa malignité. Que Mohamed nous donne la paix !

... Quelques garçonnets aux petits corps cuivrés, d’un galbe aussi exquis que celui du David de Donatello, traversaient la rue en portant sur leurs têtes des galettes d’orge qui fumaient encore à la sortie du four. En théorie, les uns derrière les autres, légers sur la pointe des pieds, ils se suivaient avec une religieuse gravité. Chadli considérait avec mélancolie ces enfants beaux de toute la grâce de l’antiquité, car en terre d’Islam pas une attitude qui ne surgisse du plus lointain des âges.

Une Bédouine s’en revenait de la fontaine sacrée de Sidi-Bou-Ali dont l’eau apaise les cœurs torturés. Le bras recourbé en col de cygne, cette Africaine tenait sa cruche suspendue par un cordon et, à chaque enjambée, la balançait comme un encensoir.

Jambes reployées sous son fin burnous, Chadli, rêveur, murmura :

— Nedromah ! Paris ! Londres ! La cour impériale ! Les sultans Almohades ! La République ! La Mecque ! Foules noires ! Multitudes blanches ! Où est le bien ?

Un bruyant cortège de Nedrohmi, précédé par des joueurs de flûtes et de tamtams, défilait. Au rythme de leur musique, les indigènes claquaient des mains. Assis sur l’épaule d’un grand paysan consumé comme un tison, un garçonnet aux vêtements éclatants laissait tomber avec langueur sa tête sur le turban de son porteur.