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sur le sol. Des piliers séparent le salon de deux alcôves garnies de divans. Contre les piliers de chaque alcôve des domestiques noirs, immobiles, semblent les figurants du spectacle joué par leurs maîtres. Seules les prunelles d’or de ces serviteurs remuent dans leurs faces d’ébène.

A l’extrémité de la salle, le noble M’hamed, quittant ses babouches, s’accroupit, pieds nus, devant un samovar marocain, étincelante tour de cuivre qui chantonne sous la poussée de la vapeur. Son léger capuchon de laine blanche sur la tête, M’hamed rejette en arrière, de ses poignets, comme un prédicateur qui veut gesticuler avec plus d’aise, les amples manches de sa lumineuse robe. Pas une partie du vêtement de M’hamed qui n’ait l’éclat de la neige.

Son teint lui-même, ses délicates mains, ses pieds nus ont une blancheur que nacre la flamme des bougies. Tout autour de lui, ce charmant mahométan dispose ses gracieux ustensiles : une « midah « incrustée d’ivoire supporte des tasses syriennes à revêtements d’argent. Au fond de chaque tasse un petit chaton relient la parcelle d’ambre qui parfume subtilement le café. Sur un tabouret de cèdre un plateau niellé contient des flacons de cristal ou de porcelaine. De la menthe en tiges est disposée comme un bouquet. Le jeune homme promène un regard affectueux sur cette vaisselle précieuse, relève encore les bras, comme s’il invoquait Allah, puis avec des gestes d’officiant, commence la préparation du thé à la marocaine.

Le couvercle du sucrier retiré, du pouce et de l’index il saisit des morceaux de sucre avec la prestesse d’un oiselet picorant des graines ; il cueille ensuite du thé, par pincées, avec des mines de jeune fille dérobant ses roses au rosier ; enfin il prend à son bouquet de menthe, quelques brindilles, qu’il jette dans le samovar. Et comme ravi de son habileté, le corps rejeté en arrière, mains ouvertes en actions de grâce, il écoute ronronner la liqueur bouillante. Le temps de réciter une « sourate » s’est écoulé. Il s’incline avec l’air de saluer un tabernacle. La belle tour de cuivre vibre sous le feu de l’alcool. M’hamed verse quelques gouttes du liquide dans une tasse azurée, goûte l’infusion, le front renversé vers le ciel, secoue négativement la tête, ajoute du sucre en poudre qui tombe comme du grésil et quelques fleurs de menthe, attend, les mains unies