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contre la poitrine, recommence sa dégustation, et, cette fois, satisfait, se relève souplement et vient nous servir l’odorante boisson.

Son père, qui bavardait le plus spirituellement du monde, se précipite vers des assiettes et offre à ses invitées le « rahat-lokoum « à l’essence de jasmin, les dattes farcies aux pistaches ou les petits cônes de pois chiches.

— Faites-moi la grâce de goûter ces amandes grillées au miel, mesdames. Reprenez de cette confiture aux pétales de rose.

— Ah ! Si Chadli, s’écrie l’une des Françaises, pourquoi mesdames Ben Chélia ne peuvent-elles pas se trouver parmi nous ? Elles nous serviraient avec toute leur amabilité.

Une brusque rougeur farde le beau vieillard qui pense à sa petite femme-enfant de seize ans.

— Oui ! oui ! s’exclame-t-il en riant, vous pourriez ensuite raconter à vos amis de Paris cette soirée africaine. Nos mœurs, hélas ! m’empêchent de satisfaire à votre gracieux désir, à moins que ces messieurs ne veuillent vous quitter ? ce qu’à Dieu ne plaise ! D’ailleurs, nos musulmanes vous désillusionneraient. Elles n’unissent pas comme vous, mesdames, les dons de la beauté aux dons de l’intelligence. Voilà peut-être la raison de notre modestie quand on nous parle d’elles. Ah ! cachons nos fleurettes ! Dérobons-les à l’ombre de nos vieilles mœurs islamiques.

Ses grands yeux de jais, mi-clos par le respect, M’hamed considère son père. L’étonnante bouche de Chadli aux lèvres minces, sans cesse en mouvement, dessine la forme d’un croissant. N’exprimerait-il qu’une partie de sa pensée ?

— Lorsque les Musulmans seront instruits comme les Européens, ils libéreront leurs femmes du harem, déclare l’une des Françaises.

— Je me crois au moins instruit comme la moyenne de vos compatriotes, madame, riposte Ben Chélia piqué. Aurai-je la vanité de vous rappeler que je suis bachelier et presque licencié en votre droit ! Il me parait même, qu’en ma jeunesse, j’oubliai les œuvres de la piété pour mes dévotions à la science. Ce n’était d’ailleurs point contredire aux enseignements de notre religion. Notre savant Ibn Wahb raconte qu’un jour qu’il travaillait dans la mosquée de la Mecque, l’heure de la prière de midi fut annoncée et il quitta ses livres afin d’y satisfaire. L’Imam