Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malek protesta : « Où vas-tu ? Est-ce que le mérite de la prière pour laquelle tu t’es levé est supérieur au mérite de la science qui t’occupait avant ? » Voilà ce que proclame l’un de nos plus grands théologiens. Je m’en suis plutôt trop souvenu et je n’ai pas lieu de m’en féliciter.

Bras ouverts, le vieillard nous considère l’un après l’autre, d’un air moqueur, avant de reprendre :

— Les Français n’aimeraient-ils la science que pour eux-mêmes, car ils tiennent en suspicion les musulmans qui savent ? Les petits bédouins, poussiéreux d’esprit et de corps, à la bonne heure ! Mais au diable les raisonneurs de mon espèce ! Lorsqu’il nous arrive, — les événements les plus audacieux sont voulus de Dieu ! — que nous nous rencontrions avec vos administrateurs moins versés que nous-mêmes dans votre propre littérature ou leur code, oh ! alors ! haro sur l’Arabe ! Un burnous prétendrait-il draper un philosophe ? Et depuis quand les turbans dissimulent-ils les fortes têtes ?

Ben Chélia riait encore doucement lorsqu’il reprit les coupes de pâtisseries.

— Ces dattes fourrées.. Je vous en supplie ! Si vous me refusez, je croirai que vous me tenez pour un frondeur... Goûtez de ces petits gâteaux du Bey, mesdames ; une recette de harem... Oui, ma disgrâce est méritée, car j’ose être un citoyen conscient, comme s’expriment vos syndicalistes... M’hamed, du thé ? La menthe qui poivre ce breuvage n’offusque-t-elle pas vos goûts délicats, mesdames ?

Le svelte jeune homme à la barbe assyrienne, agenouillé devant le samovar, recommença de faire voltiger comme des palombes les blanches ailes de ses manches au-dessus des porcelaines.

Maintenant, les regards inquiets de son père examinaient tour à tour la salle et ses hôtes. Enfin il prononça d’un ton âpre :

— Je suis honteux de vous avoir reçus aussi misérablement. Comme les hommes de ma lignée, j’aimai le faste et la prodigalité. Ces vertus sont aujourd’hui des vices. A l’image de vos princes de l’ancien régime, si nous prenions l’impôt d’une main, nous répandions nos dons de l’autre. Nous souhaitions l’or pour le dispenser et en combler nos hôtes. Comment donc, avec cet affreux défaut, pourrions-nous être supportés dans une