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qui commande, lequel ne veut souffrir que les choses mortelles soient éternelles comme lui, lequel je supplie très humblement, lecteur, te vouloir donner sa grâce et le désir d’augmenter le langage de ta nation. » L’œuvre est debout : Ronsard ôte les échafaudages. Le grec et le latin lui ont servi à augmenter le langage de sa nation. Maintenant, le latin « ne sert plus de rien, dit-il, que pour nous truchemanter en Allemagne, Pologne, Angleterre et autres lieux de ces pays-là. » Ce Ronsard du Discours sur la poésie héroïque ne ressemble point à celui que blâmait Boileau d’une injuste manière.

Ce Ronsard est en plein dans la polémique. Et ce Ronsard n’a plus affaire aux ignorants : les petits poètes ignorants sont vaincus. C’est aux savants qu’il a toujours affaire, savant lui-même, aux savants qui se réfugient dans la défunte et regrettable Antiquité, tandis que lui, Français, allait à l’Antiquité comme à l’école ou chapardait à l’Antiquité de quoi nourrir le vocabulaire et la poésie de chez nous.

Le voici, dès sa jeunesse, à l’école et qui prépare ses glorieux larcins.

Bon humaniste, Louis de Ronsard son père inscrivait sur les murs de la Possonnière les devises latines que la première curiosité de l’enfant dut épeler. Son précepteur le mit en état de lire bientôt Virgile. Un peu plus tard, il eut pour ami un jeune Piémontais, Claudio Duchi, seigneur de Cressier. « Ce gentilhomme avait fort bien étudié, dit Binet, les poètes latins et même, lorsqu’il était page, avait aussi souvent un Virgile qu’une baguette, interprétant aucunes fois à Ronsard quelques beaux traits de ce poète. » Claudio était un peu plus âgé que Pierre de Ronsard ; tous deux avaient été de l’écurie du duc Charles d’Orléans, « école de tous honnêtes et vertueux exercices. » Pierre de Ronsard connut à seize ans Lazare de Baïf, humaniste parfait. Lazare de Baïf l’emmena dans son ambassade auprès des princes allemands ; l’adolescent put rencontrer les humanistes fameux d’Alsace et d’Allemagne, Jean Sturm, Bucer, Sleidan et l’éditeur de Lycophron, Nicolas Gerbel, de Strasbourg. Enfin la chance de Ronsard et, comme dit notre auteur, « la fortune des lettres françaises » voulurent qu’il eût pour guide et pour maître, à la recherche de l’Antiquité, Jean Dorat qui avait l’érudition vive et enflammée.

Lazare de Baïf, ayant confié son fils à Jean Dorat, convia le jeune Ronsard à profiter d’un tel enseignement. Puis Ronsard et Baïf, on le sait, suivent leur maître à Coqueret, s’enferment dans ce collège ; et Baïf, plus tard, se souvenait avec délices de leurs veillées,