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chez Brinon l’auteur des Amours ; un autre jour, on applaudit Baïf créant à son tour le mythe de la nymphe Médanis. Vers la fin des repas, à l’heure des hymnes bachiques, Dorat n’est point le dernier à chanter « le père Lycean » d’une voix qu’il a fort belle et qu’il accompagne lui-même sur le luth... Le voyage d’Arcueil est fameux. Avant l’aurore, les jeunes gens et Dorat sont partis de l’université, portant les provisions et le vin. L’on déjeune sur l’herbe et l’on fait mille folies à l’imitation de celles que recommandent les poètes bucoliques d’Athènes et de Rome. On s’égaye aux jours anciens. Il y a du Bellay, Baïf, Denisot, Ligneris, Des Mireurs et Bergier. Ronsard aussi. Quand paraît l’étoile du soir, Dorat compose et il récite une belle ode latine où il réunit à l’évocation de la mythologie l’émoi de l’heure nouvelle et qui va s’éteindre... On croyait ce poème perdu, ce poème latin qui est lié aux souvenirs de notre poésie commençante. M. de Nolhac l’a retrouvé. Où l’a-t-il retrouvé, en quel lieu d’un abord difficile ou en quelle cachette ésotérique ? Mais, tout simplement, il l’a retrouvé dans les recueils imprimés de Dorat, qui sont à la disposition de tout lecteur attentif. On ne l’avait pas cherché là ; c’est que l’on travaille très mal : M. de Nolhac, lui, travaille bien.

Dorat, comme Ronsard, aimait la nature. Il l’aimait en grec et en latin ; mais il l’aimait d’un cœur sensible et fervent. Baïf, compagnon fréquent de ses promenades, le montre sur les chemins, à la campagne, et qui s’amuse à regarder danser les villageoises ou le « bestial » lever le mufle à son passage...


Tantôt, le long d’un frais rivage.
Sous l’ombre pâle aux saules verts,
Nous pourpensons quelques beaux vers...


M. de Nolhac se plaît à grouper maints petits détails, qui ne semblent pas importants, qui sont admirables et sacrés : notre poésie française prélude à ses prouesses en folâtrant avec l’Antiquité.

Ronsard, que l’Antiquité charme, ne sera point égaré hors de la belle route par les vains rimeurs qui avant lui sont toute la poésie française et ne sont rien. Dès la première édition des Odes, en 1550, il écrit : « L’imitation des nôtres m’est tant odieuse (d’autant que la langue est encore en son enfance) que pour cette raison je me suis éloigné d’eux, prenant style à part, sens à part, œuvre à part, ne désirant avoir rien de commun avec une si monstrueuse erreur. » Il s’est lancé « dans le sentier inconnu ; » il a résolu de « ressusciter les