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tuer le Milésien ; l’amour l’y engagerait aussi. Mais le Gaulois, qui a reçu le Milésien chez lui, ne trahira point l’hospitalité : il croit faire honneur à son hôte en sacrifiant sur l’autel des dieux la femme qu’il aime. Ronsard a trouvé cette rude anecdote, où les passions de l’amour ont de cruelles vicissitudes, dans Parthénios de Nicée, qui est un auteur que de bons hellénistes négligent. Parthénios de Nicée avait été publié en 1531 par Janus Cornarius.

Le recueil des Hymnes suppose la lecture de Denys le Périégite, dont Robert Estienne avait imprimé en 1547 la Description du monde, la lecture de Michel Psellos, et la lecture de maints écrivains grecs, maintenant oubliés, une seconde fois oubliés : la ferveur de la Renaissance leur avait rendu quelques années de vie.

Les humanistes étaient en quête de manuscrits. Parfois des Grecs, chassés de chez eux par les Turcs, venaient à Paris et, pour être accueillis, offraient leurs ballots d’antiquaille. Ce n’était le plus souvent que fatras de théologie byzantine. Mais, une fois, Jean du Thier, seigneur de Beauregard et secrétaire d’État du roi de France Henri II, eut l’aubaine de recevoir obligeamment deux Crétois qui, pour beaucoup d’écus, lui vendirent


du vieil Pindare
Un livret inconnu, et un livre nouveau
Du gentil Simonide éveillé du tombeau.


Jean du Thier était l’un des protecteurs de Ronsard. Il pratiquait lui-même la poésie. Et, par lui, Ronsard eut le bonheur de lire, l’un des premiers, les poèmes qui avaient pathétiquement surmonté les âges d’oubli.

Guillaume Colletet dit de Ronsard : « Il pénétra si avant dans les bibliothèques publiques et particulières qu’il fit un recueil des vers de plusieurs poètes grecs dont nous ne connaissons presque plus que les noms, dans le dessein de les communiquer au public, et qu’à cet effet en mourant il laissa ce recueil dans les mains de son intime ami Jean Galandius, qui eût pu et dû même nous faire part de ces antiques et nobles productions d’esprit. » Guillaume Collelet ne l’invente pas ; il tient le fait de Georges Crichton, qui a prononcé au collège de Boncourt l’oraison funèbre de Ronsard. Et voilà que Ronsard n’est plus seulement l’humaniste que l’on sait, l’amateur de littérature latine et grecque : il est un philologue. Émule de Dorat, de Turnèbe, il utilise les livres imprimés, il ne s’en contente pas et il va aux manuscrits, comparer les diverses leçons, préférer l’une à l’autre. Il est paléographe et, avec son ami Baïf, de très bonne heure,