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tout découvrir et conquérir. De là tout un long travail d’introspection, d’analyse intime, de repliement sur soi, d’expérience intérieure dont on consignera les résultats par écrit, « car on ne pense, ce qui s’appelle penser, que la plume à la main. » Et de là enfin ces « romans idéologiques, » ou mieux encore, ces « mémoires spirituels » qui forment la trilogie du Culte du moi.

De tels livres ne s’analysent pas : ils sont trop complexes, trop subtils, trop émaillés d’ironies, de plaisanteries insaisissables, — ou trop parlantes… À les réduire, comme nous allons le faire, à de sèches formules abstraites, sous prétexte d’en dégager le fond de pensée sérieuse, on néglige de parti pris et on laisse volontairement s’évaporer tout ce que les initiés y ont sans doute le plus vivement goûté : la grâce, l’humour, la fantaisie, l’impertinence cavalière, la virtuosité de l’artiste qui joue et qui jongle avec ses sensations les plus raffinées et ses imaginations parfois les plus osées. Juste punition peut-être de l’écrivain qui n’écrit pas pour tout le monde, mais pour lui-même, et pour de petites chapelles… À la fois roman d’analyse, poème, confession, méditation philosophique, Sous l’œil des Barbares, c’est la confession d’un enfant du siècle, dont son ami Guaita nous trace alors le portrait que voici : « Paradoxal jusqu’à la sincérité ; mystique jusqu’au sensualisme le plus caressant ; complexe, fuyant et subtil jusqu’à la plus transcendante simplicité ; personnel jusqu’au dédain des personnes, antithèse vivante lui-même, et penseur ne s’intéressant en dernière analyse qu’aux différentes façons de sentir. » Ceux qu’il appelle « les Barbares, » ce ne sont pas, comme on l’a cru, les bourgeois ou les « philistins ; » ce sont, au sens antique du mot, les étrangers ; c’est la tourbe immense des êtres humains qui composent le non-moi. Et ces « Barbares, » il les méprise et il les hait infiniment, et non pas seulement parce qu’ils diffèrent de lui, mais parce qu’ils empiètent sur son moi et qu’ils s’efforcent d’en adultérer la pure essence. Il va jusqu’à écrire : « Il comprit qu’il était sali, parce qu’il s’était abaissé à penser à autrui. » Et encore : « Ma tâche, puisque mon plaisir m’y engage, est de me conserver intact. Je m’en tiens à dégager mon moi des alluvions qu’y rejette sans cesse le fleuve immonde des Barbares. »

Dans Un homme libre, l’auteur de ces truculentes formules faisait un pas de plus. Contempler passivement son moi et l’opposer