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Sazonow, qui est encore en Finlande, a été informé hier de sa disgrâce. Il a reçu la nouvelle avec le calme et la dignité qu’on pouvait attendre de son caractère :

— Au fond, a-t-il dit, Sa Majesté a raison de renoncer à mes services. Sur trop de questions, j’étais en désaccord avec Sturmer.

A la fin de l’après-midi, Nératow me déclare, par un ordre exprès de Sa Majesté, que le changement du ministre des Affaires étrangères ne modifiera en rien la politique extérieure de l’Empire.



Dimanche, 23 juillet.

Ce matin, les journaux annoncent officiellement la retraite de Sazonow [1] et son remplacement par Sturmer. Aucun commentaire. Mais les premières impressions qu’on m’apporte sont de stupeur et d’indignation.

Le soir, je dîne, à Tsarskoïé-Sélo, chez la Grande-Duchesse Marie-Pavlowna, avec la princesse Paley, Mme Hélène Narischkine et le service d’honneur.

Après le dîner, la Grande-Duchesse me mène au fond du jardin, me fait asseoir auprès d’elle et nous causons.

— Je ne peux pas, me dit-elle, vous exprimer à quel point je suis navrée pour le présent et inquiète pour l’avenir... D’après vous, comment les choses se sont-elles passées ? Je vous confierai, moi, le peu que je sais.

Nous mettons nos renseignements en commun. Voici nos conclusions :

Entre l’Empereur et Sazonow, l’entente était parfaite sur la

  1. Voici le rescrit adressé par l’Empereur à M. Sazonow :
    Serge-Dimitriéwilch, depuis votre entrée au service de l’État, ayant consacré votre activité au ministère des Affaires étrangères, vous avez occupé d’importantes fonctions dans la diplomatie et, en 1910, je vous ai appelé au poste responsable du ministère des Affaires étrangères. Exécutant le devoir important de la direction du dit ministère, avec un zèle infatigable, vous vous êtes appliqué entièrement à réaliser mes indications, inspirées par les exigences de la justice et l’honneur de notre chère patrie.
    Malheureusement, votre santé, ébranlée par l’excès de travail, vous a déterminé à me demander de vous libérer de la fonction que vous occupiez.
    Acquiesçant à cette demande, je considère comme un devoir de vous exprimer pour votre service zélé ma reconnaissance sincère.
    Je reste pour vous toujours bienveillant et sincèrement reconnaissant.
    NICOLAS.
    Au Quartier Impérial, le 7 juillet 1916.