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NOCTURNE [1]

DEUXIÈME OFFRANDE [2]

Des visages, des visages, des visages, toutes les passions de tous les visages courent à travers mon œil blessé, innombrables, comme le sable chaud à travers le poing. Aucun ne s’arrête. Mais je les reconnais.

N’est-ce pas la foule romaine de mai, le soir du Capitole ? Enorme, ondoyante, hurlante.

Je sens ma pâleur brûler comme une flamme blanche. Il n’y a plus rien de moi en moi. Je suis comme le démon du tumulte, je suis comme le génie du peuple libre.

Ma constance de trente années, mon amour et ma charité pour « l’Italia Bella, » le courage de ma solitude, mon chant dans le désert, mon mépris de la méconnaissance et de l’injure, la patience de mon attente, l’inquiétude de mon exil se transforment en une seule masse de force ardente. Tout le passé conflue vers tout l’avenir. Je vis enfin mon Credo, en sang et en esprit. Je ne suis plus ivre de moi seul, mais de toute ma race.

Des visages, des visages, des visages formés dans la braise charnelle, imprimés dans du feu sanglant.

Le tumulte a le souffle d’une fournaise, le halètement d’un cratère vorace, la crépitation d’un incendie sauvage.

Ils entraînent et ils sont entraînés. Je monte pour couronner et je monte pour me couronner.

Un printemps épique me soulève et me ravit comme si

  1. Copyright by G. d’Annunzio, 1922.
  2. Voir la Revue du 1er février.