Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/838

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute cette antique pierre triomphale était émue par une sève de pourpre.

Les rixes des hirondelles rasent le cheval vert de Marc Aurèle qui, à chaque cri, semble prêt à désarçonner l’Empereur et à se cabrer vers le destin nouveau.

Le délire confus de la multitude devient une voix claire en moi.

Je parle. Chacun de mes mots retentit sous mon crâne comme répercuté par le métal concave. Chaque souffle force le cercle de ma poitrine. J’en souffre et je suis fier que ma joie soit mêlée de souffrance.

C’est comme la douleur d’une création, c’est comme l’angoisse d’une naissance. La foule hurle, en travail. La foule hurle et se tord pour enfanter son destin.

Au delà de la rampe recouverte de plomb, je vois mille et mille et mille visages, un visage seul : un visage de passion et d’attente, de volonté et de dévouement qui me brûle en pleine poitrine comme une plaie généreuse.

Semblable à une chanson de geste improvisée, ma parole se partage en larges laisses que la clameur complète et transporte.

Dominé par un cri plus haut que tous les autres, je m’arrête, je perds la voix. Il semble que le cri impérieux demande plus que la parole.

Une main inconnue pose devant moi, sur la rampe de plomb, une grande épée recourbée comme un cimeterre.

Je la prends et je la dégaine. Ce cri demandait ce geste. Il semble qu’un éclat de foudre passe sur tout le tumulte.

C’est l’épée de Nino Bixio, l’arme du héros tranchant, avec les noms des victoires inscrits sur la lame fourbie.

J’applique mes lèvres contre l’épée dégainée. Je ne sens point qu’elle est froide, parce que mes lèvres n’ont plus de sang. Tout mon sang brûle dans mon cœur.

Le nouveau silence du peuple est comme un tourbillon qui m’attire et qui me roule, comme un gouffre qui aspire et détruit ma vie.

Je jette ma vie, j’abandonne mon âme au délire. Les derniers mots sont comme ces coups que le fondeur donne avec le mandrin à l’ouverture, hardiment, pour faire couler dans la forme le métal liquéfié.

La foule est comme une coulée incandescente. Toutes les