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Elle annonce la guerre, la cloche du peuple. Ce n’est plus un éclat de bronze. C’est un éclat de feu rouge au sommet du ciel romain. La Patrie tout entière l’entend et se dresse.

La guerre ! La guerre ! La splendeur du couchant est vaincue par ces myriades d’yeux qui flamboient, par cette agitation de drapeaux et de menaces, par cette sublimation du peuple libre, possédé de nouveau par son vrai dieu.


Des visages, des visages, des visages, toutes les passions de tous les visages courent à travers mon œil blessé, innombrables, comme le sable chaud à travers le poing fermé.


Avoir une trêve, comme cette nuit-là après le tumulte !

J’étais à demi brûlé comme à présent. J’étais comme un de ces forgerons qui tout le jour travaillent à la forge, en colloque avec le feu traitable, et qui en sortent roussis et bronzés pour la taverne.

En me cherchant moi-même, je ne retrouvais que ma mélancolie. En cherchant mon silence, je ne retrouvais que ma musique.

Durant cette nuit de victoire, je m’acheminai, seul, vers l’Aventin, vers la colline de la Liberté, seul comme un amant solitaire. J’étais possédé par un amour sensuel de Rome, par un amour voluptueux de ma Rome, pareil à celui qui consuma les forces de ma jeunesse. J’avais respiré l’odeur de la multitude et j’étais avide de respirer la respiration secrète de ma Rome, après tant d’années d’éloignement, après tant de saisons de désirs et de regrets.

En gravissant la rue de Sainte-Sabine, je m’arrêtais de temps en temps, sous le faix de ma vie accru au delà de mes forces. Les cinq années perdues en terre lointaine pesaient sur mon âme, m’endolorissaient le cœur ; mais mon regret paraissait augmenter, sans limite, ma puissance de possession.

La rue déserte m’appartenait. J’étais seigneur de la colline. Je ne levais point les yeux au ciel pour ne point détruire mon amour d’ici-bas. Je ne voulais connaître de la nuit que ce lambeau qui était la robe sombre de Rome, sa robe sans étoiles.

Mais comme je parvenais sur la place étroite qui s’étend devant le prieuré de Malte, soudain une étoile silencieuse