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vacilla devant moi, scintilla à la hauteur de mes paupières.

Mon cœur bondissait, émerveille.

Mon cœur battait comme dans l’enfance, quand le regard vierge découvre pour la première fois une grâce mystérieuse de la terre.

C’était la première luciole.


Cette nuit le démon prend mon œil enflammé dans la paume de sa main et souffle dessus avec toute la force de ses joues gonflées.

Toutes les images s’embrasent.

Voici que la bataille lointaine de la Meuse entre dans mon incendie. Les bataillons ivres d’éther s’avancent comme ces lignes de pins ardentes appelées « contre-feux » dans ma Lande d’exil, troupeaux de flammes animales, et que je vis pousser en avant par les résiniers, à coups de grands rameaux verts.

Ils s’approchent au pas de course. Ils grandissent. Je les vois à travers les pieux et les ronces des réseaux. Je distingue une à une les faces des Bavarois convulsées par la fureur et par la terreur. Ils prennent feu comme des poignées d’étoupe.

Les charniers deviennent des bûchers. Ils ne se consument pas ; ils ne tombent pas en cendres. Ils brûlent, lentement, sans flamber, comme la tourbe.

Je reste toute la nuit étendu contre les fils barbelés qui barrent la colline. Je compte les cadavres.

Ils s’empêtrent dans les broussailles de fer ; ils s’écrasent dans l’enchevêtrement des fils rompus ; ils demeurent suspendus entre deux piquets, comme les larrons mal cloués aux croix ; ils se tordent comme les bêtes prises au lacs.

Ils n’ont pas de paupières, ils n’ont pas de lèvres. Je vois leurs yeux fixes et nus ; je vois leurs dents fixes et nues.

Je vois le sang couler sur le bois et sur le fer, se grumeler, noircir, visqueux comme la glu qui empâte les gluaux.

Il n’y a plus de rosée, il n’y a plus d’aube sur le monde.


Il pleut à verse, en cette soirée des Cendres. C’est une giboulée de mars. J’en écoute le grondement.