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J’ai à présent, il me semble, une oreille plus sensible que celle qui fut la musicienne de « la pluie sur la pinède. »

Dans la grande harpe du météore, je distingue toutes les cordes et je pourrais presque les essayer.

Si je pouvais percer deux trous dans le mur du jardin, et passer dehors mes mains desséchées !

L’ondée n’est-elle pas trop violente pour le duvet des petites feuilles nouvelles ?

Nerissa m’envoie sa jeune servante et me fait porter sous la pluie une gerbe de fleurs qu’elle a trouvées à Padoue, cet après-midi.

L’humidité entre dans ma chambre, la fraîcheur se répand sur mes draps.

Parlant de la servante, l’infirmière dit avec vivacité : « Elle est venue sans parapluie. Elle ruisselle comme une gouttière. Les fleurs sont toutes trempées. Il faut attendre qu’elles sèchent. »

Ma soif incessante flaire l’odeur humide qui tout à coup imprègne mon obscurité. Mon cœur bat. Je prie ma fille de s’approcher ; je la prie de me laisser toucher la gerbe. Je supplie. Je menace d’arracher mon bandeau, de me jeter à bas du lit. On me cède.

Les fleurs sont posées sur la couverture. Je les ai sous mes doigts, voyants comme des yeux. Je les palpe, je les sépare, je les reconnais.


Il y a la jacinthe. Elle est liée avec du fil en petits bouquets. Les tiges sont inégales. Elles forment, ensemble, une grappe touffue. Le parfum, quand on le flaire, augmente, comme la douleur dans une égratignure.


Il y a la zàgara. C’est le nom que donne à la fleur de l’oranger la Sicile sarrasinoise. Le mousse d’une goélette me l’apprit, lorsque j’étais adolescent. Il me plaît tant que, si je prononce le nom, je sens le parfum.

Il y a la zàgara de serre : un groupe de feuilles qui, au toucher, bruit, avec, au milieu, les durs boutons. Un à un, je les sens. Il y en a de fermés, il y en a de fendus, il y en a d’entr’ouverts. Il y en a de délicats et de sensibles comme le tétin qui craint la caresse. L’odeur est blanche, acerbe, puérile. Mais il faut la chercher avec les narines au milieu des feuilles