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froides et ruisselantes qui me mouillent le menton et m’entrent dans la bouche.

Il y a l’amourette. Elle est la plus trempée de pluie ; elle est toute imprégnée par l’eau des nues. Elle odore davantage à la pointe, comme la dernière phalange des doigts qui manipulent les fards. Il y a, au fond de son odeur, quelque chose de la figue laiteuse, de la petite figue verte. Il y a même, si j’insiste, quelque chose de la reine-claude mûre. Odeur d’herbe plus que de fleur, de fruit plus que de fleur.


Je préfère Ia zàgara, le nom et la chose. Elle est plus fine, plus rare : elle n’est pas nuptiale, elle est virginale. Je la cherche encore, au milieu du feuillage. Elle blanchit le feu de mon œil. Elle est dure et blanche comme la sclérotique.

Je me rappelle les grands bois d’orangers à Villacidro, dans l’île des Sardes. J’étais un souple animal. J’avais deux minces chevilles. Je me déchaussais pour marcher avec mes jeunes pieds sur la fleur neigeuse qui jonchait le sol.


La pluie ne cesse pas. Je l’entends ruisseler sur le jardin, sur la petite place, dans la ruelle. La donatrice n’aura pas la hardiesse de traverser comme sa servante, le déluge que submerge Venise ténébreuse. Mais on eût dit que les fleurs l’annonçaient.

L’ennui de l’immobilité m’accable. Une sourde colère me raidit, de la nuque aux talons. Je vais me lever, me débarrasser de mes bandes et me promener le long des gouttières.

Mon plaisir mélancolique est déjà épuisé. La nuque me bat. Des tiges de la jacinthe coule une humeur odieuse qui m’englue les doigts.

Mais d’où vient cette odeur de violettes ? Il y a donc des violettes dans la pièce ? Qui me les a cachées ?

J’allonge les mains avec précaution pour chercher autour de moi. Je trouve un bouquet qui avait glissé de la couverture vers le rebord. Le cœur me bat. Pour un rien, mon cœur bondit !

C’est un bouquet de violettes. Mouillé, il n’avait plus de parfum. La chaleur du lit le ranime. C’est une surprise exquise. J’en jouis comme si je les avais cueillies moi-même au bord d’une étrange prairie.

Ce ne sont pas les violettes de Padoue ; ce sont pour moi les violettes simples de Pise la dorée.