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Elle connut avec moi la tranchée ; elle connut avec moi la tanière et la fosse ; elle connut la servitude de la boue et l’ivresse du ciel, l’arôme du bûcher votif et l’heure ineffable où l’âme et l’aile sont un ange ravi par le souffle de l’Eternel.

Elle disait : « C’est moi ! c’est moi ! Me voici ! « Elle avait soif d’immortalité pour son fils vers ses destins tendu.

« Me voici ! « Et à la source de sang qui jaillissait de sa poitrine, tous les soldats ont bu.

C’était un amour si entier qu’il ne me laissait pas reconnaître si d’elle me venait la vie, ou si de moi lui venait la vie.

C’était un feu si aveuglant qu’il ne me laissait pas distinguer si je brûlais, par elle, imparfait, ou si, par moi, elle brûlait, accomplie.

C’était un sacrifice si véhément que je ne savais plus si elle était ma mère ou ma patrie, étant suspendu entre le berceau et la tombe.

Et je ne savais pas si je lui donnais ma jeunesse revenue ou si elle rouvrait, à l’ombre de mes cils, ses fraîches prunelles de colombe.

Ah ! pourquoi tout à coup veux-tu que je te regarde ? pourquoi veux-tu qu’à travers mes bandelettes, je fixe ta prunelle qui tour à tour me ronge et me tisonne ?

Pourquoi te séparer de moi comme je m’arrachai de toi tout sanglant, durant cette orageuse nuit de mars pour pleurer les larmes de l’homme ?


Libérez-moi de cette angoisse ; je ne résiste plus. Délivrez-moi de cette terreur ; je ne peux plus respirer.

Donnez-moi un peu de lumière. Ouvrez les fenêtres. Tirez-moi de cette ombre affreuse, où je n’ai plus de repos.

Interrompez tout au moins pour une heure ce supplice des visions, ce martyre des apparitions épouvantables.

Je ne sais plus résister.

J’ai envie d’arracher mes bandes et de m’arracher les yeux..

Vous me bandez le front, vous m’enveloppez les paupières, vous me laissez dans l’obscurité.

Et je vois, je vois, toujours je vois. Et de jour et de nuit, toujours je vois.