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bien et tant de mal ! Et ainsi penché, je regardais sur la pierre du balcon une cavité dans la dalle usée, jadis chère à mon enfance lorsque pendant les averses elle se remplissait d’eau de pluie et que j’attendais, palpitant, que les moineaux vinssent s’y désaltérer comme à un abreuvoir sans danger. Elle était à sec ; et j’en souffrais. Et les doigts de ma mère, de temps en temps, m’effleuraient la joue. Et je pensais qu’elle faisait ainsi, pour sentir si elle était baignée de larmes. Et peut-être ne savait-elle point que son geste les provoquait en moi et les tirait de loin.

Ah ! pourquoi suis-je revenu à moi ?

Que de fois, dans cette douce maison, n’avais-je pas entendu retentir un cri terrible ! Que de fois dans cette vieille maison tranquille, entre la huche et le bahut, entre le coffre et la table, n’avais-je pas entendu résonner sur mon anxiété la voix eschylienne, vivante comme ma voix elle-même : « Je viens. Qui m’appelle ? « 

Le haut de l’escalier vit encore le nouvel adieu.

Si la douleur maternelle pouvait vraiment se changer en pierre, au sommet de ce pauvre escalier resplendirait, pour la dévotion des hommes, la plus belle de toutes les statues sacrées.


« Je viens. Qui m’appelle ? « 

Cinq années d’exil dans l’extrême Occident, sur la croupe sauvage de la dune océanique ; une longue suite de jours et d’œuvres, une longue patience, une longue attente.

De même que l’amour de ma mère ne sut jamais découvrir sur ma face les ravages du temps et de la vie, ainsi mon amour conservait d’elle une image spirituelle et tutélaire dont la lumière atténuait les traits sans les confondre.

Dans la maladie aussi je ne voyais qu’un mode mystique d’affinement, qu’un moyen ascétique de sainteté. Et je ne devinais pas de loin ce qui, par compassion, m’était caché.


Je n’ai jamais eu peur de souffrir. D’une telle résistance ma mère m’enseigna l’exemple, dès mes premières années. Et pourtant, comme je m’apprêtais à lui donner l’adieu de guerre, mon cœur ne cessa point de se tordre et de craindre, oppressé par un pressentiment d’insupportable peine.

Oh ! trop long voyage, course que l’anxiété ne pouvait pas accélérer, à travers le pays dévasté, à travers les ruines du