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Fucino, à travers le pays des Marses couvert de décombres et de moissons, plein de veuves et d’orphelins, plein de deuil et de pâleur et de fatigue aux bras meurtris !

Ma piété avait déjà fait un pacte avec la mort, le pacte d’un marin, d’un fantassin, d’un aviateur inconnu. A l’aube du 25 mai, j’avais dit à mes camarades réunis : « Personne de vous, certes, ne savait qu’il aimait à ce point cette Grande Mère. Mais qui de nous le premier saura mourir pour elle ? Quelqu’un d’entre nous est-il déjà désigné, déjà élu ? Si j’étais celui-là ! Si le présage ne m’abusait point, si ne m’abusait point mon pressentiment ! « 

J’avais dit : « Nous n’avons désormais d’autre valeur que celle de notre sang à verser ; nous ne pouvons être mesurés qu’au niveau du sol conquis. Voici l’aube, ô mes camarades, voici la diane ; et bientôt ce sera l’aurore. Embrassons-nous et disons-nous adieu. Ce que nous avons fait, est fait. Il faut donc que nous nous séparions et puis que nous nous retrouvions. Notre Dieu nous accorde de nous retrouver, ou vivants ou morts, en un lieu de lumière. »

Mais il fallait s’arracher de la mère mortelle avant de se donner à la mère immortelle.

Je me représentais les adieux des petits soldats, des volontaires de seize ans, des anciens de cinquante, là à travers cette campagne amère ; et j’imaginais les mères debout, sur le seuil ou bien à l’extrémité de la route, droites dans les plis de leur tablier brun.

Et la peur ne cessait de me serrer la gorge. Et la course ne me semblait pas assez rapide ; mais chaque arrêt était pour moi un soulagement presque lâche. Et quand j’entrais dans l’ombre des montagnes, je fermais les yeux comme pour n’en plus sortir.


Mon poignet se brise. Ma main est tombée comme une chose desséchée.


J’ai soif. Je meurs de soif. De mon orteil, là-bas, si lointain, à ma gorge de métal qui ne s’humecte jamais, tout mon corps est altéré. Et c’est en vain que je demande une gorgée d’eau.

Dites-moi s’il est une agonie plus cruelle.