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12 mars 1916.

Les murs de Pescara, l’arc de brique, l’église lézardée, la place avec ses arbres malingres, l’angle de ma maison négligée.

C’est la petite patrie. Elle est sensible, çà et là comme ma peau. Elle se glace en moi, elle se réchauffe en moi. Ce qui est vieux me touche, ce qui est nouveau me répugne. Mon angoisse est lourde de l’angoisse de toute une race et de tout le passé.

Ma porte me semble plus petite. Le vestibule est humide et paisible comme une crypte sans reliques. Je chancelle sur la première marche de l’escalier. Je suis effrayé par le silence. J’ai peur de voir là-bas mes sœurs avec leur tête voilée. Une toile d’araignée tremble dans la grille qui donne*sur la cour. J’entends une poule chanter. J’entends grincer la poulie du puits. Le passé se précipite sur moi avec un grondement d’avalanche ; il me courbe, il m’écrase. Je souffre ma maison jusqu’au toit, jusque dans ses combles, comme si j’en avais fait la charpente avec mes os, comme si je l’avais blanchie avec ma pâleur.

Personne en haut de l’escalier. Je comprends. Ce silence est piété et pudeur. Le malheur est sur la seconde porte, et seul il me conduit par la main.

La première pièce est déserte. Le bonheur d’autrefois n’y laissa que des couteaux affilés pour me déchirer.

La seconde pièce est déserte. Il y a là les livres de mon enfance et de mon adolescence. Il y a là le pupitre à musique de mon frère émigré. Il y a là le portrait de mon père enfant avec le chardonneret posé sur l’index tendu.

J’ai vécu tant d’années dans l’oubli de ces choses ; et ces choses peuvent revivre si terriblement en moi !

Dans la troisième pièce, il y a mon lit blanc ; il y a la vieille armoire peinte, avec ses miroirs ternis et tachés ; il y a le prie-Dieu de noyer où je m’asseyais, furieux, et où je demeurais, maussade, avec une obstination sauvage, pour ne pas avouer que je me sentais mal.

Mes genoux se rompent ; et les murs me prennent, m’attachent à eux, me roulent, comme une roue de torture.

Dans la quatrième chambre, il y a le petit Jésus de cire sous son globe de cristal ; il y a la Madone aux sept glaives ; il y a les images des saints et les reliques rassemblées par la sœur de mon père, morte très pieusement ; et il y a mes premières