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prières, celles du matin si douces, celles du soir encore plus douces qui, pour rentrer dans mon cœur, me défoncent la poitrine comme si elles étaient devenues les armes de mon ange implacable.

Trois degrés montent à la cinquième pièce, comme trois degrés d’autel.

Elle est pleine d’ombre, sous la voûte arquée. Elle résonne. Mon cœur bat les murs avec le heurt aveugle du destin. Le vaste lit l’occupe où je fus conçu et engendré. Je crois entendre en moi les cris de ma mère qui, lorsque je vins au monde, ne pénétrèrent point mes oreilles bouchées. L’odeur indéfinissable de la maladie me suffoque. Une main me touche et me fait tressaillir. Une main froide me saisit et m’entraîne vers la sixième pièce.

C’est la sixième station : le suaire de Véronique.

Une voix basse me dit : « Elle est là. « Cette voix me glace. Je la reconnais. C’est la voix de la servante admirable, de la créature fidèle, née de nos glèbes, élevée dans notre maison, appelée Marie.

« Elle est là « 

Est-ce ma mère ?

Une pauvre, pauvre chose courbée, une chose informe, une chose de misère et de peine, abaissée, humiliée, perdue.

Est-ce ma mère ?

Je me traîne à ses pieds, je rampe sur le plancher. Je suis vide de tout, si ce n’est de terreur. Je lève la tête, haletant, comme si je me cassais une vertèbre du cou. Je lève la tête et je regarde.

Je regarde ce visage.

C’est avant que le destin aurait dû me rendre aveugle.

N’était-il pas ainsi le visage du Sauveur, quand il eut pris sur lui tous les péchés du monde ?

Horrible et sublime, en vérité, avec un regard qui ne me voit pas, qui ne me reconnaît pas, obscurci et fixe, où l’amour n’est qu’une tristesse sans nom, tristesse qui va jusqu’à la mort et plus loin que la mort.

Ma mère !

Une pauvre créature avilie, percluse, défigurée ; et je ne sais quelle effrayante grandeur dans laquelle je pénètre comme en un lieu saint et redoutable, comme dans mon sacrifice même.