Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je suis comme son prisonnier atterré. Emprisonnée en elle, mon âme me fixe des profondeurs de ces prunelles inconnues.

Et l’humble femme de la terre dit mon nom, répète mon nom à cette oreille toujours plus inclinée.

Et alors les deux mains se lèvent de dessus les genoux. Toute la vie s’arrête, perd sa couleur, n’est plus rien.

Est-il donc quelque chose qui peut me faire plus mal que le regard sans lumière ?

Il y a la bouche, qui n’a plus de beauté, qui n’a plus de douceur, qui n’a plus forme humaine, qui n’a plus voix humaine.

Les deux paumes s’abattent sur ma tête, pesantes comme si elles étaient exsangues et inanimées. Et la bouche veut dire mon nom, mais elle n’a qu’un faible gémissement.

Et je suis vide même de ma terreur. Je n’ai plus mes sens. Je connais une mort que jamais peut-être aucun autre fils de femme ne pourra connaître.

Et comment peux-tu donc, comment peux-tu me faire ainsi mourir encore ?

C’est aujourd’hui l’anniversaire de ma naissance.


Je dis au docteur qui m’interroge : « Imaginez que j’ai un papillon vivant prisonnier dans la joue et que ses ailes brunes occupent la place de ma paupière inférieure et palpitent sans cesse sur le bord de mon œil. »

Il ne sourit pas ; il fronce les sourcils.

Je souris et j’ajoute : « Il ne faut pas le tuer, il faut lui rendre la liberté. »


Je dis au docteur : « Imaginez à présent que j’ai dans l’œil une petite feuille de fougère, d’une de ces fougères arides qui semblent taillées dans une lame de cuivre. »

Il répond : « Savez-vous que si l’on taille en biseau la tige d’une fougère, on y voit la figure de l’Aigle à deux têtes ? « 


La Sirenetta me dit : « La glycine est déjà fleurie à toutes les fenêtres. »

J’ai dans mon œil triste quelque chose comme une cristallisation d’améthyste claire qui, parfois, de minérale devient végétale et ressemble aux fleurs fermées de la glycine, pareilles à de légères écailles oscillantes.