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comités polonais de Suisse entretiennent une propagande aussi active qu’habile.

Ici, je ne perds aucune occasion de démontrer que le Gouvernement impérial commet une faute lourde en n’organisant pas, dès maintenant, sur de larges bases, l’autonomie de la Pologne ; car il risque d’être devancé par les Puissances germaniques. Encore suis-je obligé d’y mettre beaucoup de nuances, le nationalisme russe n’ayant pas encore oublié les événements de 1863. C’est avec Sazonow que j’en cause le plus souvent et le plus librement. Comme la police, la terrible Okhrana, l’informe de mes moindres gestes, je ne lui cache pas que je reçois volontiers à l’Ambassade mes amis polonais, le comte Maurice Zamoyski, le comte Ladislas Wielopolski et son frère Sigismond, le comte Constantin Plater-Syberg, Roman Skirmunt, le comte Joseph Potocki, Rembiélinski, Korvin Milewski, etc. Ces fréquentations ne laissent pas de le troubler un peu pour moi. Il me disait hier :

— Méfiez-vous ! La Pologne est un terrain dangereux pour un ambassadeur de France.

Je lui ai répondu, en altérant légèrement le vers de Ruy Blas :


La Pologne et son Roi sont pleins de précipices.


Mais les ménagements que je suis tenu d’observer envers le Gouvernement impérial sur la question polonaise, ne constituent qu’une difficulté de détail. Le principal obstacle à une solution rapide est le conflit d’opinions qu’elle suscite dans le monde russe.

Que l’Empereur soit personnellement acquis au principe d’une libérale autonomie, ce n’est pas douteux. Pourvu que la Pologne reste sous le sceptre des Romanow, il consentirait à la plupart des revendications polonaises. Sazonow partage ses idées et l’exhorte courageusement à y persévérer.

En revanche, la majorité de l’opinion russe ne veut, à aucun prix, que la Pologne cesse d’être incluse dans l’Empire unitaire. Ce n’est pas seulement dans les milieux nationalistes et dans la bureaucratie que cette hostilité se manifeste ; c’est dans la Douma et dans tous les partis. Il en résulte que la proclamation de l’autonomie par la voie législative est impossible. Je n’imagine donc pas que la question puisse être tranchée autrement