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au bannissement, avait reparu aux bords du Léman lors de la querelle entre « les natifs et les oligarches » et s’était montré terroriste impitoyable. Installé à Paris vers la fin de 1795, Veyrat essaya d’abord d’un petit commerce dans le faubourg Saint-Denis ; n’ayant pas réussi au gré de ses ambitions, il entra dans la police et fut créé inspecteur, à l’époque de Fructidor, par le ministre Sotin ; destitué par Dondeau, réintégré sous Duval, ne connaissant rien ni des partis ni des hommes de la Révolution, sans attache à aucune coterie, Veyrat n’avait qu’une conviction : il était avide d’argent. Nommé inspecteur général à la Préfecture de police après le 18 brumaire, il fit fructifier son emploi avec une âpreté ingénieuse. Ce qui le le rendait redoutable, c’était son intimité avec Constant, le valet de chambre de l’Empereur : on le disait même en rapport direct avec Sa Majesté et chef d’une police particulière chargée de renseigner le souverain sur ce qui se tramait à la Préfecture et au Ministère où l’inspecteur général avait ses entrées.

Tel était le puissant personnage auquel Perlet, à bout de ressources, avait exposé sa situation. Veyrat fut compatissant ; il donna audience à Perlet, et l’engagea à « travailler. » Perlet y consentit avec reconnaissance : l’inspecteur général l’essaya d’abord dans quelques menues besognes : il s’agissait, tout simplement, d’aborder, sous un prétexte quelconque, les promeneurs des jardins publics, d’engager avec eux la conversation et, en provoquant leurs confidences, de les amener adroitement à « parler contre le gouvernement, » pour ensuite les dénoncer. On a les premiers rapports de Perlet ; c’est puéril et répugnant. Tout de même, Veyrat reconnut en son élève des dispositions manifestes, car il l’enrôla après six mois d’apprentissage. Je ne sais si Veyrat exigeait de ses néophytes un serment d’obéissance passive et d’aveugle servilité ; mais on retrouve non daté, écrit de la main de Perlet, cet engagement solennel qui ressemble à une profession de vœux éternels : « Tout ce que tu me diras de faire, je le ferai. Je ne regarderai point en arrière. Eprouve-moi ; si tu me trouves faible, sacrifie-moi. Ma détermination irrévocable est de servir ta fortune. Heureux, je veux partager ton bonheur ; malheureux, je te serai dévoué. Je t’appartiens ; rien au monde ne me fera changer... » A la fin d’août 1805, Perlet recevait des appointements fixes et des gratifications fréquentes. Il était sauvé, — et perdu.