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sa surveillance et quotidiennement soumis à l’Empereur. Ordinairement graves, leur ton devient goguenard lorsqu’il y est question de « la prochaine défection complète et simultanée de tous les fonctionnaires de l’Empire français en faveur du Prétendant. » On s’y amuse de la naïveté de Fauche-Borel et de la pleine confiance qu’il accorde à « son ami de Paris, » — « du superbe plan de l’agent de Police « (Perlet, que le bulletin ne désigne jamais autrement) plan, qui consiste en « une légation royale à Paris composée d’un militaire marquant, d’un sénateur, etc., dont Fauche serait l’intermédiaire auprès du Roi ; » — on y raille la joie crédule du dit Roi, « touché de la plus vive sensibilité en apprenant l’avancement donné à ses affaires par l’agent de Police, » et dont il parle « comme de son plus ferme soutien : » — et l’on ne craint pas d’exposer à l’Empereur lui-même que « la base de ce fameux plan est de renverser le tyran et de purger la France de son infâme séquelle. » Tout cela, d’ailleurs, rapporté aux bulletins, sans détails ni développements, à l’égal d’un simple fait divers, de façon que l’Empereur n’y pouvait, à vrai dire, rien comprendre si quelqu’un ne lui fournissait un complément verbal d’information. On aimerait à penser qu’il ne le réclama point et n’autorisa jamais de son approbation cette supercherie indigne de sa grandeur.


Ce qui surprend, c’est que Louis XVIII, réfléchi et circonspect, le cabinet britannique, prudent et rendu méfiant par l’expérience, s’y fussent laissés prendre. Faut-il donc supposer que la finesse des plus perspicaces était alors émoussée par la brutale incohérence des événements ? Après cent ans et plus, ils nous paraissent encore invraisemblables ; qu’était-ce donc pour les contemporains ? Se représente-t-on le prodigieux effet que dut produire aux cours étrangères, figées depuis des siècles dans la vénération de l’hérédité hiérarchique et des antiques aristocraties, la première page de cet Almanach impérial pour l’an XIII où, sous le titre traditionnel : Naissances et alliances des Princes et Princesses de l’Europe, France, on lut avec effarement ce nom de Napoléon, suivi de la kyrielle de toute la famille. D’où sortaient ces gens-là ? Celle-ci était, il y a dix ans, ouvrière en linge à Marseille ; cet autre aujourd’hui qualifié « beau-frère de l’Empereur, grand amiral, maréchal de l’Empire, gouverneur de Paris, » est le fils d’un cabaretier. Et