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toute cette bande vous a des « grands aumôniers, » des « pages, » des « dames pour accompagner, » des « hérauts d’armes, » — qui se nomment Sallengros et Zimmermann ! Pouvait-on croire à la durée de cette mascarade ? N’était-il pas impossible que ces parvenus risibles eussent des partisans en ce Paris réputé par son tact et son respect des traditions ? Depuis le début de la Révolution, les princes exilés, dans une incompréhension parfaite du nouvel esprit de la France, persistaient donc à garder l’illusion que nul ne pouvait rêver sort plus désirable que celui de servir la cause royale et gloire plus enviée que celle de mériter leurs faveurs. Entre eux ils se jalousaient et se craignaient : Louis XVIII redoutait les inconséquences de son frère d’Artois, lequel se méfiait du cousin d’Orléans ; tous deux prenaient ombrage de la popularité du prince de Condé et même évitaient de mettre en avant les deux jeunes ducs d’Angoulême et de Berry, de peur que la France, enthousiasmée par leur bonne mine, ne se jetât dans les bras de l’un ou de l’autre. Mais, en dehors de leur propre famille, les Bourbons ne voulaient voir en tous leurs sujets rebelles que des amis prêts à se dévouer. Aussi, dès qu’un homme paraissait émerger de la démocratie ambiante et faisait preuve de quelque supériorité, ils imaginaient n’avoir qu’un mot à dire pour que celui-là se ralliât docilement à leur cause et protestât de sa soumission. C’est ainsi qu’on avait « tâté » Cambacérès, dès 1795, prêt, croyait-on, au demander sa grâce ; » puis on voulut avoir Pichegru, ainsi qu’il a été conté ; après Pichegru on s’adressa à Moreau, à Hoche, à Kellermann ; on essaya de séduire Boissy d’Anglas, Oudinot ; un peu avant le 18 brumaire, on crut pouvoir gagner Talleyrand ; — quand on parlait de lui au Roi, on ne disait pas : Talleyrand, on disait : l’Évêque d’Autun ; — mais le dit prélat « demanda l’impossible. » On tenta Barras : on fit des avances à Carnot, encore que ces démarches répugnassent à d’Avaray qui, intransigeant, n’apercevait pas « l’utilité de rallier ces tyrans ensanglantés. » Dès brumaire, on s’attaqua à Lebrun, le troisième Consul, qui riposta par un refus sec et poli ; on circonvint Joséphine, la femme de Bonaparte, que Mme Hue, son ancienne amie, assurait être « royaliste ; » on pressentit à plusieurs reprises Berthier, le fidèle compagnon de Napoléon ; originaire de Versailles, sa mère avait compté jadis au nombre des femmes de chambre du château, et lui-même, à ses débuts, fut employé par Louis XVI