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conduisait : — « A la prison de Sainte-Pélagie, » répondit Gallay ; ce qu’entendant, Vitel prit peur, protesta qu’il n’irait pas plus loin, que, au surplus, il ne connaissait pas du tout M. Perlet, n’avait aucune affaire avec lui et que le billet s’était trompé d’adresse. Sur quoi il tourna les talons et s’éloigna à grands pas vers des quartiers moins suspects.

Le 26, nouveau billet de Perlet à Vitel. Le détenu de Sainte-Pélagie informe « son jeune ami » qu’il espérait sortir de prison le jour même mais que sa libération est un peu retardée ; Vitel peut venir le voir sans rien redouter pour sa sûreté : — « toutes les précautions sont prises pour qu’il soit protégé par la police même. » L’enseigne se décide, va à la prison où Perlet l’attend ; ils se reconnaissent ; Perlet invite son visiteur à monter dans sa chambre et, là, il l’exhorte « à dire tout ce dont il est chargé, sans crainte du lieu où on se trouve. » Vitel, mis en confiance, raconte sa traversée, son voyage à Neuchâtel ; il a, dit-il, l’ordre de regagner promptement l’Angleterre, et il partira aussitôt que Perlet lui aura confié « les papiers instructifs » qu’il doit lui remettre. Malheureusement, Perlet n’est pas libre : il s’en désole ; il ne le sera que dans huit jours ; mais s’il ne peut, jusque-là » rien dire ni rien faire, » il questionne longuement Vitel sur la situation des émigrés, sur ce que le jeune homme a pu surprendre, en causant avec son oncle, des projets du gouvernement anglais : il parle avec chaleur, avec dévotion, avec attendrissement, du Roi exilé et de la sainte cause de la légitimité ; il témoigne d’une entière soumission aux instructions du cabinet britannique... Et, dès qu’il est seul, il adresse au préfet de Police un rapport détaillé de ce qu’il vient d’apprendre. Tous les soirs Veyrat se glisse dans la prison et s’informe des confidences reçues. Du reste Vitel est « filé » par deux agents ; ils ont ordre de ne pas l’inquiéter, car « pour s’assurer s’il a quelque communication ou quelques moyens secrets, on le laisse prolonger ses entretiens avec Perlet. » Et les entretiens se renouvellent, en effet, on le sait par le journal de l’emploi de son temps que tient consciencieusement Vitel et par les rapports que, chaque jour, Perlet envoie à ses chefs.

Ce journal est écrit sur un carnet couvert de parchemin et fermé d’un gros lacet vert-olive. A lire ce laconique mémorandum, il semble que l’honnête Vitel s’étonne des atermoiements de son interlocuteur :