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française et anglaise de Salonique auront à lutter contre l’armée bulgare, la Russie sera sans pitié pour la Bulgarie ; je vous le garantis.

Philippesco me paraît assez impressionné par la netteté de mes déclarations. A plusieurs reprises, il lance un regard d’interrogation vers Diamandy, qui assiste silencieux à notre entretien et qui répond par un signe d’acquiescement.

Alors, je pose à Philippesco cette question précise :

— Pourquoi M. Bratiano se dérobe-t-il à toute négociation ?

Avec un geste de colère, il me répond :

— Parce qu’il a une politique mesquine ! Il ne trouve jamais le marché assez avantageux ! Il laisse passer ainsi les meilleures occasions ! A force d’ajourner la décision que toute la Roumanie réclame, il fera de nous les vassaux de l’Allemagne !...

Revenant à la question essentielle, c’est-à-dire la conclusion d’une convention militaire, je représente à Philippesco les périls auxquels Bratiano expose son pays en se refusant à fixer dès aujourd’hui les modalités pratiques du concours qu’il escompte de la Russie et faute de quoi la Roumanie devra renoncer à l’accomplissement de son rêve national. Je poursuis :

— L’heure décisive peut sonner beaucoup plus tôt que M. Bratiano ne se l’imagine. Or, une convention militaire est toujours longue à négocier : deux ou trois semaines, au moins. Puis, il faut en préparer l’exécution ; il faut raccorder les chemins de fer, réunir les moyens de transport, constituer les approvisionnements, etc. Avec les Russes qui sont de si mauvais organisateurs, qui ont si peu le sens de la distance et du temps, un pareil travail est plus difficile et plus lent que partout ailleurs. Si demain l’Allemagne remettait un ultimatum à la Roumanie, M. Bratiano serait pris en flagrant délit d’imprévoyance... A la rigueur, je conçois qu’il ait scrupule de s’engager à déclarer la guerre dans un délai déterminé. Mais quel inconvénient voit-il à laisser l’État-major russe et l’État-major roumain se lier par une convention qui n’aurait nécessairement aucune valeur exécutoire, tant que les deux Gouvernements ne l’auraient pas ratifiée ? Craint-il, par hasard, une indiscrétion ? Mais la Roumanie n’est-elle pas depuis longtemps compromise envers les Puissances germaniques par son accord avec les Alliés au sujet de la Transylvanie ? Et cet accord n’est-il pas de notoriété publique ?