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par Perlet, que l’enseigne est porteur d’un billet destiné à Fouché, ne laissera pas échapper l’occasion de saisir ce précieux papier avant qu’il soit entre les mains du ministre. Il y a toujours eu, sinon antagonisme, du moins rivalité entre la Préfecture et le Ministère et le préfet Dubois caresse l’espoir de compromettre son ministre en exhibant le mystérieux billet qui, pour être si précautionneusement dissimulé dans une canne, doit se rattacher à quelque grosse intrigue. Il est donc temps d’arrêter Vitel, et, le jeudi, à six heures du matin, comme celui-ci dort encore dans la chambre qu’il occupe à l’Hôtel d’Hambourg, des coups sont frappés à sa porte : il se lève, ouvre : les policiers sont là ; il est saisi, emmené, mis dans un fiacre et conduit par deux agents à la Préfecture.


C’était un sinistre lieu, au fond d’un cul-de-sac déclive qu’on appelait la rue de Jérusalem, en souvenir, dit-on, d’un refuge destiné à abriter les pèlerins revenant de Terre-Sainte. Là se trouvait, enclavé dans les vieilles constructions du Palais de Justice, l’hôtel du Préfet, demeure décrépite, vaste et jadis somptueuse ; dans ses dépendances avaient été installés les divers services qui, à mesure des besoins, s’étaient annexé les constructions mitoyennes. En cet amas hétéroclite de masures penchées, étayées de grosses poutres, percées de couloirs sinueux où, en raison des différences de niveau, on ne pouvait faire dix pas sans remonter un escalier étroit et branlant comme une échelle, grouillait un monde de fonctionnaires, de scribes, d’agents, de détenus, de surveillants, d’espions, de solliciteurs, errant de bureaux en bureaux, sous des voûtes lézardées par les âges et qu’on n’osait pas réparer dans la crainte d’un écroulement général.

La réputation morale de ce prodigieux taudis valait son aspect extérieur. Fauriel disait qu’« il serait impossible de donner une idée exacte de ce repaire où l’on trouvait tout ce qu’il y a de plus hideux. » Là régna en maître, durant dix ans, le comte Dubois, préfet de Police, « insolent, vain, sot, déconsidéré, uniquement occupé du soin de conserver sa place et d’accroître sa fortune. » Ses manières étaient communes, presque triviales ; blasé sur toutes les infamies, corrompu par l’incessante promiscuité avec les mouchards et les criminels, ayant dès longtemps perdu le respect de soi-même et de sa haute