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situation, il s’attribuait cyniquement 5 000 fr. par mois sur le revenu de la ferme des jeux et servait à la comtesse sa femme, — fille d’une ancienne servante, — un « pot-de-vin » annuel prélevé sur les taxes de la prostitution. Il mettait à l’occasion la main aux plus viles besognes et l’on a déjà dit qu’il se plaisait à contrôler, voire à inspirer la correspondance de Perlet avec Fauche-Borel.

Quelques-uns de ses acolytes favoris avaient de terribles légendes. Veyrat, d’abord, devant qui tout tremblait à la Préfecture, parce qu’il passait pour y être l’espion de l’Empereur, lequel l’employait, disait-on, à « ses investigations particulières. » Sous ses ordres était Fondras, un ci-devant chapelier de Lyon, son élève, intelligent, souple, insinuant et matois, qui devait un jour supplanter son maître. Le chef de division Bertrand, « homme très massif de formes et très délié d’esprit, presque borgne, tout à fait boiteux ; » chargé des interrogatoires, il était la terreur des prévenus : il savait rendre loquaces les plus taciturnes en leur écrasant les doigts entre deux planchettes, à l’aide d’un tournevis. C’est en songeant à Bertrand que Nodier écrivait : — « Les précautions dont la société s’est armée contre le crime n’ont rien à envier au crime lui-même en bassesse et en férocité. » Pour se borner aux seuls personnages qui ont un rôle en ce récit, il faut mentionner encore l’inspecteur Pasques, un colosse, dont l’aspect formidable épouvantait. Fouché s’attacha cet homme précieux qui obtenait des aveux rien qu’en serrant dans sa main, — forte et broyante comme un étau, — la main d’un accusé récalcitrant.

Le candide Vitel, engouffré dans cet enfer, n’essaya pas de la résistance ; d’abord extrêmement troublé et abattu, il essaya de « quelques détours, » mais pour avouer bientôt qu’il était au service d’Angleterre et envoyé par son oncle Fauche-Borel, désireux d’obtenir un passeport pour Neuchâtel. Le jour même, dès son premier interrogatoire, présidé par Bertrand, en présence, croit-on, du préfet Dubois et de Veyrat, il raconta sa navrante histoire. Encore persuadé, par les affirmations de son oncle et les insinuations de Perlet, que toute la police de l’Empire était acquise à la cause de Louis XVIII, il dit comment il était passé en France pour se mettre en rapport avec le Comité royal, — Dubois devait sourire ! — et comment lord Howich, auquel il s’était présenté avant son départ de Londres,