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l’avait chargé d’annoncer à ce même Comité l’envoi de fonds abondants et le prochain débarquement du Prétendant sur les côtes de France. On écouta Vitel sans l’interrompre.

Quand il eut fini de parler, Bertrand se fit remettre la badine de bambou que, lors de son arrestation, l’enseigne avait laissée dans sa chambre, à l’Hôtel d’Hambourg ; sur l’insistance de Perlet, Veyrat avait donné l’ordre qu’on apportât cette canne à la Préfecture. En l’apercevant dans les mains de Bertrand, Vitel pâlit : — « Je suis perdu ! « murmura-t-il. Comprenant que toute dissimulation était désormais inutile, il indiqua lui-même le nœud du bambou sous lequel se trouvait le billet de son oncle ; la badine fut sciée ; la lettre retirée, déroulée, lue ; non sans déception ; on s’attendait à y trouver la preuve que le ministre Fouché était vendu aux royalistes. La découverte de ce papier insignifiant termina l’interrogatoire. Vitel ne pouvait espérer aucune pitié de ces ogres au pouvoir desquels il était tombé et dont pas un ne songea que le crime dont ils accusaient ce malheureux avait été par eux-mêmes perpétré ; comme l’araignée ingénieuse, leur police avait sournoisement tendu la toile, sachant bien qu’une proie s’y viendrait prendre ; et quoique ce ne fût pas celle qu’ils espéraient, ils se déclaraient, en attendant mieux, satisfaits cependant, puisqu’ils trouvaient en ce succès l’occasion de témoigner au maître leur dévouement et de célébrer leur vigilance.

Napoléon passait tout ce mois de mars 1807 à Osterode, en Prusse orientale, à quatre cents lieues de Paris. Le bulletin du 4 lui fut adressé, comme celui de chaque jour, non sans que Fouché n’eût flétri les ennemis de Sa Majesté, assez obtus pour supposer que sa fidélité à l’Empereur n’était pas indéfectible : il écrivit de sa main, en regard de l’article concernant Vitel, cette protestation indignée : — « Qu’un misérable comme Fauche-Borel imagine une intrigue pour gagner de l’argent, cela se conçoit ; mais que le cabinet de Londres soit la dupe d’un pareil fripon, qu’il croye aux plus choquantes invraisemblances, voilà ce qui est extraordinaire. C’est de l’aveuglement. »

Il ne restait plus qu’à attendre les ordres de l’Empereur : c’était un mois de délai.

On garda Vitel à la Préfecture, afin de le tenir en main ; interrogé de nouveau le 5 et le 7 mars, il semble bien qu’il ne concevait pas grande inquiétude ; encore sous l’impression des