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des feuillets qu’on retrouve à son dossier, des pensées mélancoliques, réminiscences d’anciennes lectures ou extraits de livres que lui prête Fauconnier : — « J’emporte avec moi l’idée de n’avoir fait de mal à personne et d’avoir toujours désiré contribuer au bonheur de l’espèce... » — « Je ne crains pas plus de cesser d’être que je n’ai désiré d’exister. » Ou bien, pour distraire son esprit obsédé de l’inexplicable cruauté des hommes, il commence le récit, en anglais, de sa campagne des Indes. Ce sont surtout ses comptes qui le tracassent, et, sagement, il aligne des chiffres : — « Arrivé à Paris avec 20 louis en poche et 180 chez M. Hottinger, ce qui fait 200 livres sterling... Compte d’avoir en entrant à la Préfecture 340 francs qui sont entre les mains de M. l’inspecteur. M. l’inspecteur a payé à l’auberge 82 fr, 16 sols : à la Préfecture 92 fr. 2 sols ; Idem 32 fr. 2 sols. Il reste entre les mains de M. l’inspecteur 209 fr. 2 sols, plus les 4 500 saisis chez Hottinger. »

Ces 4 500 francs n’étaient point entre les mains de M. l’Inspecteur : Perlet, présumant bien que « son jeune homme » n’en aurait plus jamais besoin, avait réclamé la somme en récompense de ses bons services. Mais il ne se jugeait pas suffisamment payé : il songeait, non sans regret, aux millions que l’Angleterre tenait à sa disposition pour le service du Comité : fallait-il donc renoncer à cette grandiose aubaine ? Bien certainement, l’arrestation de Vitel et ce qui devait s’en suivre allait mettre un terme à l’intrigue si habilement conduite depuis plus d’un an : les ministres anglais, Louis XVIII, Fauche-Borel lui-même, reconnaîtraient qu’ils avaient été dupés et, non seulement Perlet perdrait à leurs yeux tout crédit, mais, son double jeu étant découvert et sa mystification mise à jour, il pourrait bien arriver qu’il eût à s’en repentir. Il importait donc de sauver la situation ; mais comment ? L’imagination des scélérats est infiniment féconde et ils sont doués d’une pénétration inventive extrêmement rare chez les honnêtes gens. Perlet adressa donc à Fauche-Borel un mot très laconique et conçu en termes émus, lui annonçant l’incarcération de son neveu. Vitel avait été arrêté, écrivait le mouchard, « non pas à Paris, mais en route, » hors, par conséquent, du rayon d’action du Comité. Ainsi détournait-il d’abord les soupçons qu’un récit vrai des faits aurait éveillés dans l’esprit de Fauche. Il conjurait, par la même lettre, celui-ci de lui envoyer au plus tôt 600 livres sterling