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sommet de l’office, le prêtre-soldat élève le calice au-dessus du champ de bataille, on entend palpiter les âmes [1].


Ce qui fait le prix de ces notations pittoresques, ce n’est pas seulement qu’elles fixent des « choses vues, » et qu’elles les placent fortement sous nos yeux ; c’est qu’elles en dégagent la signification morale et qu’elles s’achèvent en « méditations. » Méditations ardentes d’un poète qui, à chaque instant, entr’ouvre ou déploie ses ailes et qui épanche tout le lyrisme qu’il a dans le cœur. A propos de la mort glorieuse d’un tout jeune écrivain, Marcel Drouet :


Le paysage monotone est sinistre, le danger partout, le noir mystère dans tous les taillis ; l’aurore même se lève funèbre. Mais lui, pas un instant, ne s’indigne contre le destin qu’il prévoit et les forces qui l’écrasent. Sans résister au sort contraire, il glisse an gré du fleuve. Être mortel et limité, il sauve son honneur, et, gardant la paix de l’âme, sans regrets, ni supplications, ni colère, il se resserre dans ses souvenirs tendres et dans ses hautes espérances. O mort, que vos vingt ans écourtés valent mieux que notre longue jeunesse vaine ! [2]


Avais-je tort de parler de lyrisme ? Et que manque-t-il à cette page, pour en faire une « méditation » de Lamartine, ou, mieux encore peut-être, une « contemplation » de Hugo ? Et ceci encore, écrit à propos des dévastations de Lorraine :


C’est en descendant les sentiers fleuris, bordés d’arbustes et pareils à des allées de parc, qui mènent d’Hattonchâtel à Vigneulles et des Côtes de Meuse dans la Voivre, qu’enivré du charme des matinées lorraines, j’accusais le grand Ligier Richier d’excès tragique et de trop de douleur. Écartons ces branchages, ces vaines minutes rapides du printemps. Par-dessous, voyons notre terre et sa destinée éternelle. La voilà ! C’est bien celle que la grande âme de Ligier prophétisait, il y a quatre siècles. Je te reconnais : les siècles n’ont point changé : tu es toute en calvaires glorieux et en sépulcres de résurrection [3].


Poésie et philosophie ne sont pas les Muses ennemies que l’on s’imagine quelquefois : et il est au contraire tout naturel que le lyrisme le plus personnel aboutisse à des vues d’ensemble

  1. Les Saints de la France, p. 52-53. — Chateaubriand eût envié ce dernier trait et cette admirable petite phrase.
  2. L’Amitié des tranchées, p. 15.
  3. L’Amitié des tranchées, p. 343.