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sur nos raisons de vivre et sur le sens de notre effort. Ce sont là des questions que M. Barrès a toujours présentes à l’esprit, et toutes les occasions lui sont bonnes pour nous exposer sa philosophie de la guerre :


O guerre redoutable, — s’écrie-t-il à propos de l’entrée en scène de la Turquie, — que nul n’avait désirée, car tous les hommes sensés craignaient que nous ne fussions pas prêts, un miracle, un sursaut du génie national, favorisé par les plus heureuses circonstances, a suppléé à tous les manques, et la victoire se fait sous nos yeux éblouis. Au milieu de nos efforts, de nos angoisses privées, de toute noire humanité douloureuse, qui nous empêchent de la bénir, cette guerre, nous voyons bien qu’elle est le salut. Elle nous sauve, jusqu’en Orient [1].


Quand tous ces articles de guerre ne se recommanderaient pas par ces hautes qualités littéraires, ils resteraient encore un document historique et psychologique de premier ordre. A les relire, non seulement nous y trouvons réunis et commentés pour la première fois des textes et des faits dont l’ensemble forme une importante « contribution » à l’histoire générale d’une époque dont le vivant intérêt ne fera que croître avec le temps ; mais encore nous voyons s’y tisser sous nos yeux toute la trame des sentiments, des émotions et des idées dont nous avons tous vécu, — de quelle vie haletante, fiévreuse, angoissée ! — plus de quatre mortelles années. Quand on voudra, plus tard, reconstituer l’histoire morale de la France pendant la grande guerre, c’est là dans cette « chronique » qu’il faudra aller puiser à pleines mains. « Je ne vaux, écrivait M. Barrès, que pour exprimer à haute voix nos vœux ardents, pour me faire le servant d’une sorte d’office national et de la supplication de tous. » C’est cela même, et l’on ne saurait mieux définir le rôle que s’est assigné l’auteur des Déracinés en écrivant ses articles quotidiens : dans ce long drame aux multiples péripéties qui s’est joué sur la scène du monde, il a comme rempli l’office du chœur dans la tragédie antique [2].

C’est d’abord, en réponse à l’insolent défi de l’Allemagne, la brusque « résurrection française, l’union des Français autour

[3]

  1. Les Saints de la France, p. 35.
  2. C’est M. Barrès qui, le premier, a baptisé la Voie sacrée la fameuse route de Bar-le-Duc à Verdun.
  3. L’Union sacrée, p. 253.