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Hélas ! les Barbares devaient mettre plus de quatre années encore à regagner définitivement les frontières de leur pays. Et durant ces longues et mortelles années, que de deuils, que de misères, que d’émotions et d’inquiétudes, que d’espérances déçues ! De toutes ces fluctuations morales, de la trace qu’elles laissaient en notre âme, les articles de M. Barres nous offrent un miroir fidèle. Qu’elle est belle, par exemple, cette page où l’écrivain traduit si éloquemment les idées qui nous remplissaient le cœur, quand il nous arrivait de funèbres nouvelles de l’immense champ de bataille !


C’est notre devoir, c’est notre salut d’aimer nos morts et de recueillir leur souffle. Quelle énergie de vie ils exhalent ! O morts, que vous êtes vivants ! La France s’était amusée, par un jeu inexplicable, à s’aller reposer quelques heures dans son sépulcre, car les nations et les individus ont leurs tombeaux toujours prêts, et ses ennemis s’approchaient pour pousser la pierre et l’ensevelir ; mais, éveillée en hâte par ses plus jeunes fils, elle est sortie de sa chambre de mort. Elle va avec eux maintenant sur les rudes chemins, rouges de sang, et dit en se frappant la poitrine : « Je leur avais donné une âme héroïque ; pourquoi ai-je négligé si longtemps de les armer ? Ils vivraient ! « Ils n’ont pas cessé d’être. Ils sont seulement transformés. Ils agissent mieux que jamais [1]...


Je ne puis suivre l’écrivain dans tous les développements que lui inspirent les événements tumultueux qui se sont succédé au cours de ces cinquante mois si pleins de choses. Mais ce serait retracer son rôle d’une manière trop incomplète que de passer sous silence les campagnes qu’il a poursuivies contre le « défaitisme « et contre les partisans d’une paix sans garanties effectives. Lorsqu’on 1917 de tristes politiciens, exploitant la lassitude générale, et subissant, à leur insu, espérons-le, les démoralisantes suggestions de la propagande allemande, se laissèrent aller, envers des traîtres avérés, à des complaisances coupables, le terrible pamphlétaire de Leurs Figures se leva pour les démasquer, pour les signaler à la vindicte publique ; par ses discours, par ses articles, il porta le fer rouge dans la plaie : on lui doit des mises en accusation retentissantes qui firent reculer les puissances de ténèbres et de mort et contribuèrent singulièrement à purifier l’atmosphère morale de la France militante ;

  1. La Croix de guerre, p. 300.