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Il y a 25 000 prêtres environ dans l’armée française. Qu’ils aient été pour beaucoup dans le magnifique état moral de nos soldats, là-dessus tous les témoignages concordent. Les tragiques réalités de la vie et de la mort ont rendu au catholicisme ses puissants moyens d’action sur les âmes. La vieille religion de nos pères, aux yeux de ces innombrables chrétiens, fervents ou médiocres, qui ont déjà tant souffert et qui, demain peut-être, vont mourir, a perdu ce caractère abstrait, lointain, un peu conventionnel qui, les mirages de la vie aidant, avait naguère rebuté beaucoup d’entre eux, esprits superficiels, ou prévenus, trop aisément dupes des apparences. Vigoureusement simplifiée, ramenée à ses données fondamentales, à ses dogmes essentiels, aux grandes idées de sacrifice, de purification et d’immortalité personnelle qui en sont la substance même, elle reprend tout son empire sur les consciences ; elle redevient, comme au temps du christianisme primitif, un aliment souverain de la vie morale. Sous sa toute-puissante influence, l’état d’âme des premiers martyrs est redevenu, sur tout notre front, chose courante et presque normale, et ils sont littéralement légion ceux qui, comme Polyeucte, courent « à la mort, à la gloire, » avec cette ardeur d’abnégation souriante qui est un paradoxal défi jeté à la nature. Mais là encore, là surtout, les prêtres ont prêché d’exemple. « Je n’en crois, a dit Pascal, que les témoins qui se font tuer, » et quand il s’agit de pousser les autres au sacrifice suprême, de simples prédications verbales, si éloquentes et si persuasives fussent-elles, seraient totalement insuffisantes. « Rien que pour le mois de septembre 1915 (affaires de Champagne), nous dit M. Barrès, j’ai dans les mains cent cinquante-six dossiers individuels de prêtres et de religieux morts au champ d’honneur : pour les batailles de 1916 à Verdun, deux cent six dossiers d’ecclésiastiques glorieusement morts ; et j’ai eu à ma disposition (au début de 1917) les textes officiels de trois mille sept cent cinquante-quatre citations de membres du clergé et des congrégations, parmi lesquels plusieurs ont jusqu’à six ou sept étoiles ou palmes. » Qu’ajouter à l’éloquence de pareils chiffres ?

Moins nombreux, plus dispersés que les catholiques, — il n’y a qu’un millier de pasteurs en France, et ils sont quatre cents dans l’armée, — les protestants peuvent difficilement se grouper et se prêter le mutuel réconfort de leurs expériences morales.