Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’émeut progressivement, à cette longue évocation, qui est presque un monologue ; car c’est tout au plus si, çà et là, je complète un de ses souvenirs.

Lorsqu’il a terminé, je cherche une phrase qui résume et couronne en quelque sorte notre entretien :

— Souvent, lui dis-je, très souvent, je pense à Votre Majesté, à sa lourde tâche, à tout le poids de soucis et de responsabilités qui lui incombe. Une fois même, j’ai eu pitié de vous, Sire.

— Ah ! quand cela ?... Je suis heureux que vous me parliez ainsi... Quand cela ?

— Quand vous avez pris le commandement de vos armées.

— Oui, ç’a été pour moi une heure terrible. J’ai cru que Dieu m’abandonnait, et qu’il fallait une victime pour sauver la Russie... Je sais qu’à ce moment vous m’avez compris et je ne l’ai pas oublié.

— Je suis sûr qu’en des heures comme celle-là, c’est la mémoire de votre glorieux père qui est, après Dieu, votre plus ferme soutien.

Et je lui montre un grand portrait d’Alexandre III, qui domine sa table de travail.

— Oui, aux heures difficiles, et j’en ai tant ! je demande toujours conseil à mon père et c’est toujours de lui que je m’inspire... Allons, mon cher ambassadeur, il faut nous quitter ! Je m’attarde à causer avec vous et, comme je repars demain pour la Stavka, j’ai encore beaucoup à faire.

Au seuil de la porte, il me serre affectueusement la main.

De cette audience, qui a duré plus d’une heure, j’emporte d’abord l’impression que l’Empereur est en bonne disposition et qu’il voit l’avenir avec confiance. Sinon, se serait-il étendu aussi complaisamment sur les souvenirs que la guerre nous a rendus communs ? Ensuite, quelques traits de sa nature se sont dessinés : la simplicité, la douceur, la faculté de sympathie, la fidélité de la mémoire, la droiture des intentions, la mysticité, une faible confiance en soi et, par suite, le besoin constant d’un appui extérieur ou supérieur.



Mercredi, 15 mars.

C’est une heureuse et touchante idée, qui a inspiré, en 1901, à Nicolas II la fondation du Narodny Dom, la Maison du Peuple.