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cueillette, puisque le produit de leur travail resterait sur place sans emploi et sans profil ? Et qui, d’ailleurs, pourrait les initier à de meilleures méthodes de culture, leur enseigner, ne fût-ce que par l’exemple, l’utilité de se mieux vêtir, de se mieux nourrir, de se mieux loger et de constituer des réserves pour les années mauvaises, sinon des cadres européens ? Or quels capitalistes, quels techniciens, quels agriculteurs, quels cadres européens en un mot, se rendront volontiers dans un pays où l’on est pour ainsi dire coupé de toute communication avec le reste du monde ?

Considérons, par exemple, la région la plus peuplée, la plus fertile, la plus rapprochée des lignes ferrées : cette boucle du Niger qui vient d’être érigée en province sous le nom de Haute-Volta. Sa capitale, qui est en même temps son centre, Ouagadougou, est à plus de 600 kilomètres de Koulikoro, point terminus du chemin de fer de Dakar, et à plus de 900 kilomètres de Bouaké, point terminus du chemin de fer de Grand-Bassam ; c’est-à-dire, selon que l’on prend l’un ou l’autre itinéraire, à plus de un ou deux mois de Paris, — et cela en faisant le calcul purement théorique qu’on sautera du wagon dans le bateau et inversement, sans perdre un seul jour [1]. S’il s’agit des régions du Tchad, — qu’on les aborde par l’Ouest, par le Sénégal ; ou par le Sud, par le Congo, — il faut compter près de trois mois. Et même lorsque seront construits les deux tronçons ferrés de Pointe-Noire à Brazzaville et de Bangui à Fort-Crampel, qui permettront d’aller de l’Océan au Tchad par voies ferrées et voies fluviales alternées, le trajet de Marseille ou Bordeaux au Tchad exigera encore près de deux mois. Les touristes et les fonctionnaires seuls peuvent se permettre un tel gaspillage de temps. Et si en temps de paix les marchandises lourdes, et notamment les bois, peuvent commodément emprunter cette route, elles risqueront, en cas de conflit, de la trouver fermée, comme toutes celles d’ailleurs qui aboutissent à l’Océan.

Que le rail, au contraire, vienne mettre la Haute-Volta et les régions du Tchad à trois ou quatre jours d’Alger, à cinq ou six jours de Paris, qu’il y apporte un afflux normal de médecins, de vétérinaires, d’ingénieurs, de chefs de culture, de médicaments, d’instruments agricoles ; que des capitalistes, des industriels,

  1. On vient d’organiser un service de convois automobiles entre Bouaké et Ouagadougou ; mais, outre qu’ils sont fort dispendieux, ces transports ne dispensent pas du long circuit de Grand-Bassam à Bordeaux.