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des commerçants puissent les visiter ; et toutes ces régions, actuellement en léthargie, s’éveilleront à l’activité et à la vie. Leur capital potentiel est assez riche pour justifier toutes les entreprises, le jour où les communications avec l’extérieur seront mieux organisées.

En même temps, et par l’effet automatique de ce double courant que produit toujours le rail, le développement de l’hygiène et du mieux-être des indigènes leur créera de nouveaux besoins et ouvrira aux produits fabriqués de la métropole ce vaste marché que peut et doit offrir une population de vingt millions de Noirs évoluant vers la civilisation et, de ce fait, bientôt doublée. Souvenons-nous que le nombre des indigènes d’Algérie, qu’on nous accusait d’avoir ruinés et refoulés, a doublé en moins de cinquante ans. Ils étaient 2 300 000 en 1871 : ils sont 4 700 000 en 1921.


Et c’est là qu’apparaissent le sens profond, le côté humain, la grandeur même de l’œuvre du Transsaharien.

Car, dans cette mise en valeur de l’Afrique centrale, il ne s’agit pas seulement d’intérêts stratégiques et économiques, de profits financiers et matériels, il s’agit aussi de la responsabilité morale, du rôle civilisateur que nous avons assumés. En nous installant sur ces territoires, en chassant les roitelets barbares qui y exerçaient la pire des tyrannies, en abolissant la traite et l’esclavage, nous avons accompli une œuvre de haute humanité, mais nous avons détruit une organisation millénaire qui s’imposait par la terreur, sans doute, mais entretenait cependant du mouvement, de l’activité, de la vie. Nous n’avons encore rien mis à la place. Des cités autrefois peuplées et bruyantes, telles que Tombouctou, Gao, Agadès, Zinder, sont aujourd’hui silencieuses et à peu près désertiques. Isolées dans leurs terres respectives, n’ayant aucun trafic, oisives et imprévoyantes, ces populations ne cultivent que tout juste le mil indispensable à leur subsistance. Insuffisamment nourries, mal vêtues et mal abritées, elles vivent en état permanent de réceptivité et de moindre résistance. Les bœufs, les moutons suivent le même sort. En somme, gens et bêtes multiplient ou périssent selon les hasards des bonnes ou mauvaises années.

Au demeurant, la mortalité, la morbidité, l’incertitude de