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Il était une fois à Padoue, (époque de la Renaissance), un bon vieillard nommé Batista. Il était père de deux filles, très différentes d’humeur : Bianca, douce autant que jolie, et la belle Catarina, plus méchante encore que belle, querelleuse, emportée, grande bailleuse d’injures et même de soufflets. Craignant le tête-à-tête avec elle, le père a juré de ne marier la colombe qu’après s’être défait de la pie-grièche. Auprès de Bianca s’est déjà glissé, déguisé en maître de luth, le gentil Cambio. Mais qui voudra jamais de la mégère ? — Un hardi seigneur de Vérone, Petruccio. Insolences, bourrades, rien ne le rebute. N’a-t-il pas entendu mugir la tempête sur mer et, dans les combats, le canon ? Qu’est-ce que la colère d’une femme ? L’éclat d’une châtaigne sous la cendre. « Cateau, lui dit-il d’emblée, Cateau, je t’ai vue ; tu m’as plu ; je te veux ; je t’aurai. Je suis né tout exprès pour te mater. » Et il la matera. Elle crie, il rugit ; elle brise, il extermine ; elle invective, il lui clôt la bouche d’une riposte ou d’un baiser. Le dimanche fixé pour la noce, il vient, le rude fiancé, mais en retard d’une couple d’heures, et dans un accoutrement de carnaval, suivi d’un valet fait comme lui. C’est en tel équipage qu’il conduit son Euménide à l’autel.

Et là quelle cérémonie ! Il sacre, il tempête, gourme le sacristain, renverse le prêtre et le piétine, demande alors du vin pour se rafraîchir et, prenant la mariée par le cou, lui plante sur les lèvres un tel baiser, que tous les échos de la chapelle en claquent. Vous n’êtes pas au bout, ma mie. Le cortège à peine de retour au palais, deux chevaux sont préparés : l’un pour le valet, l’autre pour le maître et sa dame. En dépit du beau-père, de toute la noce terrifiée, il l’enlève à la pointe de l’épée, et la voilà vêtue encore de sa robe nuptiale, galopant en croupe, de nuit, par la pluie et le vent. Le cheval bronche : elle roule dans la boue du chemin. On arrive enfin au château. » Quoi donc ! gronde Petruccio. Personne pour nous recevoir ! Holà ! drôles, coquins ! » Les gens accourent, s’excusent, s’empressent. Le cuisinier sert le souper : « Il ne vaut rien. Cateau, je vous défends de manger. Eh ! quoi ! ce lit est fait comme un lit d’auberge ! « (Et les draps et les oreillers de voler en l’air.) « Cateau, je vous défends de dormir. Mon amour, vous reposerez dans ce fauteuil.» A demi morte d’inanition, de fatigue et de sommeil, vaincue par ses propres armes, massacrée avec son humeur à elle, Catarina se laisse tomber et s’endort. Quelques menues épreuves encore, et la voilà soumise. Sa fureur, avant de s’éteindre, jette, de plus, quelques éclairs, mais les derniers. « Mon amour, dit Petruccio, regarde à l’horizon monter la lune, rouge de