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Déjà l’ombre vient ; tout, à bord, s’est tu...
Ecoute ! entends-tu
Ce bruit faible et grave :
Le froissement du flot déplié sous l’étrave ?

C’est un bruit ancien entre tous les bruits.
Par combien de nuits
Semblablement claires,
A-t-il fait son murmure à l’avant des galères ?

Il a dû peser les travaux des jours.
L’homme et ses amours,
Comme un patriarche.
Lui dont l’âge premier remonte au temps de l’Arche.

Par lui le présent s’enchaîne au passé.
Le couple enlacé
Rejoint dans la ronde
Tous les amants heureux qui glissèrent sur l’onde.

Ce flot rejeté qu’on entend pleuvoir,
Tâche de savoir
S’il rit ou s’il pleure ;
Demande-lui quel sens il attache à cette heure.



Le vieux souffle païen qui rôde sur la mer,
Jailli des lèvres de l’écume.
Emprunte au sel de l’eau son puissant goût amer,
Mais cette acre saveur est sa seule amertume.

Ici, tout est physique, originel et pur,
Tout est exempt des maux que le corps doit à l’âme :
Ni triste, s’il s’éteint, ni joyeux, s’il s’enflamme.
L’azur, bleu sombre ou rose, est simplement l’azur.

Le bruit du flot non plus n’est ni chanson ni plainte.
Interroge la lune, interroge le vent,
Leur pensée est toujours restreinte
A cet instant qui passe et qui seul est vivant.