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de la Vierge toute fleurie. C’est là qu’achève de mourir, d’une lente maladie, le père Lecornu, curé de la cathédrale d’Hanoï, ancien capitaine du génie sous les ordres de Joffre. Une amitié solide les unit toujours, malgré le temps, l’éloignement, la différence des destinées et des croyances.

Le Maréchal entre dans l’humble pièce et va vers le lit : il contemple sous les linges la tête fine et noble de son ami, le fier profil au front haut, au nez long et mince : « Eh bien ! Lecornu, ça ne va pas ? » Le prêtre saisit la main robuste de ses longues mains décharnées et la porte à ses lèvres : « Monsieur le Maréchal, laissez-moi embrasser cette main qui a sauvé la France. » La voix est si faible qu’il faut se pencher pour l’entendre.

— Je ne puis m’habituer à dire « Père Lecornu. » J’aime mieux Lecornu tout court. Le malade répond :

— Appelez-moi « Fils, » et je serai honoré.

Alors commence la plus naïve et touchante conversation : ils parlent de leurs amis, de l’ancienne popote, des arbres que le Maréchal voulait élaguer, du potager et de la maison qu’on voulait exhausser, de la gaîté surtout qui régnait partout : « Vous étiez si avenant ! dit le Père. Toutes les fois que vous passiez sous ma fenêtre, vous chantiez. » Et le voilà qui essaie de chantonner le refrain d’autrefois…

Maintenant le Père Lecornu a revu son ami, il peut mourir[1].


Hanoï, 9 janvier.

Le Maréchal a voulu faire à Sontay un pèlerinage à la mémoire de l’amiral Courbet, sous les ordres duquel il s’est trouvé à Formose en 1886. Il s’est fait expliquer sur place les grandes lignes du combat livré par le grand Amiral contre les Pavillons noirs ; il a visité son poste de commandement et la citadelle. Enfin, au cours d’une réception des autorités françaises et indigènes, il a su dire avec sa manière simple et profonde, qu’en admirant l’œuvre coloniale française, sa pensée se reportait vers ceux qui furent les ouvriers de la première heure et en particulier vers le grand Chef qui nous a donné définitivement le Tonkin et auquel il a voué un culte affectueux.

  1. Le Maréchal a appris la mort du Père Lecornu par un radio reçu en mer le 12 janvier, c’est-à-dire cinq jours après leur dernière rencontre.