Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce soir, le Maréchal et le Gouverneur général ont assisté à un bien curieux spectacle.

Une association fondée par des Annamites lettrés et qui s’intitule « l’Association pour la formation intellectuelle et morale des Annamites, l’A/fima, » a résolu de célébrer le tricentenaire de Molière en jouant les principales pièces du grand comique, traduites en annamite. On joue le Bourgeois gentilhomme. Or il faut faire une attention particulière pour s’apercevoir que nous n’étions pas à Paris, tant le décor, les costumes et le jeu des acteurs auraient pu donner illusion, et cependant aucune supercherie : M. Jourdain est un Annamite authentique très connu ; M. Phan Van Duyêt, ses partenaires également ; les costumes ont été faits à Hanoï et la plupart des acteurs ne sont jamais allés en France.

C’est sans doute un exemple de la merveilleuse faculté d’assimilation de la race annamite ; mais en constatant la joie du nombreux public indigène, et avec quelle sûreté il applaudissait et riait aux passages qui auraient suscité la joie d’un public français, nous voyions dans cette soirée la preuve la plus éclatante de l’universalité du génie de Molière, et nous nous réjouissons de le voir, d’une manière aussi imprévue, collaborer à l’œuvre d’union poursuivie par la France en Indo-Chine.


12 janvier.

Le Maréchal s’est embarqué hier sur le Montcalm, qui l’a rejoint en baie d’Along : il fait route vers le Japon.

Voilà, donc terminée cette longue randonnée à travers les quatre pays de l’Union indo-chinoise, dont nul récit ne peut donner la fidèle et pittoresque image : les rois rivalisant de pompe pour l’honorer, ou faisant, comme Sa Majesté Sisavong, roi de Louang Prabang, un voyage de deux mois pour venir le saluer ; les villes en fête pavoisées et illuminées avec une magnificence inouie ; les routes, les voies ferrées décorées de drapeaux et d’arcs de triomphe sur plusieurs milliers de kilomètres, parées de meubles et des autels les plus vénérés ; les populations groupées autour de leurs mandarins, accourues de plusieurs lieues à la ronde : tels ce chef Moï, hautain et farouche, que nous avons vu à Hué ou ces montagnards Muongs descendus à Ba-Dinh ; les associations de toute nature se disputant l’honneur de le recevoir ; les enfants des innombrables écoles d’Annam