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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/744

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REVUE DES DEUX MONDES.

GUILLAUME.

Inattendu ! Mais n’était-ce donc pas pour la vie, notre amitié ?

ISABELLE.

Ma présence rapide est un gage que vous lui êtes toujours cher. Elle m’envoie à votre recherche en signe d’amitié éternelle.

GUILLAUME.

Elle t’envoie ! Sans doute qu’elle ne veut pas sacrifier une seule minute du temps qu’elle consacre au vainqueur. Depuis six mois, qu’ai-je eu d’elle ? Je l’ai attendue sur l’Oronte, à Damas. Avec quelle ardeur confiante, j’accourais ici ! Et tout à l’heure son visage d’effroi pour moi et d’amour pour cet homme ! Plût au ciel que jamais je ne fusse venu dans Qalaat, que jamais cette voix menteuse n’eût exercé sur moi sa puissance magique ! Elle me trompait donc, quand elle me prenait dans ses bras pour me dire : « Je t’appellerai à mon lit de mort ou bien je courrai au tien, et je t’adresserai de tendres adieux. » Tout cela pour qu’aujourd’hui j’arrive et que j’éprouve l’horreur de la gêner dans ses nouveaux plaisirs.

ISABELLE.

Ne risque pas d’être injuste. Pourquoi suis-je ici ? Il serait plus prudent pour elle et pour moi que je reste dans le palais. Mais me voici, contre toute sagesse, qui cours à tes injures et à bien d’autres dangers. Explique cela autrement que par notre amitié ! Si tu savais de quelle manière touchante…

GUILLAUME.

Je sais que je lui donnais asile avec ivresse dans mon cœur, qu’elle s’y est blottie pour me mordre avec plus de joyeuse sûreté et s’est glissée rapidement loin de moi en m’abandonnant à la pire souffrance. Et toi, femme méchante, tais-toi qui l’approuves dans sa prudence ! Mais non, poursuis ton récit. Ou plutôt, qu’elle vienne me le faire elle-même, si elle n’est pas une esclave.

ISABELLE.

Esclave ! Peux-tu le lui reprocher ? Tu lui en avais préparé la vie. Elle le redeviendrait sans doute, si elle obéissait