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REVUE LITTÉRAIRE

LES DROLES D’IDÉES DES GONCOURT [1]

L’Académie Goncourt a entrepris de publier, en attendant le fameux journal, une « édition définitive » des œuvres de ses fondateurs. Elle a donné jusqu’à présent Germinie Lacerteux, la Fille Elisa et Chérie. Chacun des volumes contient une « postface » de l’un des académiciens. La « postface » de Germinie Lacerteux, par M. Gustave Geffroy, bien faite et avec beaucoup de soin, riche de renseignements bibliographiques et de remarques précieuses, aurait dû servir de modèle aux deux autres, qui sont bâclées. Je viens de relire ces romans, dont j’avais un bon souvenir : la lecture nouvelle a effacé le bon souvenir ; j’en suis fâché.

Edmond de Goncourt raconte, dans la préface de Chérie, qu’un jour, peu de temps avant la mort de son frère, tous deux étaient à se promener au Bois de Boulogne. Silencieuse promenade. Soudain, Jules de Goncourt s’arrête et dit : « Ça ne fait rien, vois-tu, on nous niera tant qu’on voudra... il faudra bien reconnaître que nous avons fait Germinie Lacerteux... et que Germinie Lacerteux est le livre-type qui a servi de modèle à tout ce qui a été fabriqué depuis nous, sous le nom de réalisme, naturalisme, etc. Et d’un ! » Voilà le premier argument d’orgueil ou de réconfort. Le deuxième : les Goncourt ont imposé à leurs contemporains, « par les écrits, par la parole et par les achats, » le goût de l’art et du mobilier XVIIIe siècle, tandis que, sans eux, l’on en serait encore à la commode d’acajou ; « et de deux ! » Enfin, les Goncourt ont mis à la mode les « japonaiseries » et sont

  1. Germinie Lacerteux, par Edmond et Jules de Goncourt ; la Fille Elisa et Chérie, par Edmond de Goncourt, « édition définitive » Flammarion et Fasquelle, éditeurs).