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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/223

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moyens de le divertir : et le projet de divertir le lecteur me paraît bien recommandable ; je ne crois pas qu’un romancier de chez nous et de notre temps ait mieux à faire. Tandis que la « clinique de l’amour » serait la besogne des médecins.

Pourquoi veut-on que la littérature se mêle éperdument de ce qui ne la regarde pas ? C’est dangereux plus que jamais à notre époque, où les idées scientifiques se répandent un peu partout, se galvaudent et, en courant, se détériorent. Les sciences véritables sont de plus en plus difficiles et retirées : ce qu’on en voit dehors n’est que leur caricature. Nous autres ignorants vivons sur des idées scientifiques merveilleusement fausses, à la propagation desquelles ont beaucoup servi maints romanciers et autres personnes incompétentes.

Ne serait-ce pas une excellente méthode, si l’écrivain qu’une idée ou un sujet de livre tente se demandait d’abord quelle façon d’écrire et quelle forme littéraire convient le mieux en l’occurrence ? Le roman, le drame, l’essai ou le traité discursif ? Il y a des sujets de romans qui ne sont pas des sujets de théâtre, et des études médicales qu’on aurait tort de mettre en musique, et des « cliniques de l’amour » qui ne feront pas de jolis romans. On dira que je réduis le roman, — le roman moderne ! — à peu de chose, à n’être qu’un divertissement ? Je voudrais que le romancier consentît que la règle, disait Molière et disait Racine, est de plaire. Ils le disaient de la comédie et de la tragédie : et disons-le du roman. D’ailleurs, la polissonnerie n’est pas indispensable : et ces Goncourt ont la dialectique facile en n’opposant à leurs romans « sérieux, graves », médicaux, scientifiques et terriblement dénués de frivolité, que la polissonnerie. On n’interdit pas au romancier de « penser » : les penseurs ne sont pas toujours ennuyeux ; on en connaît de drôles.

Mais la « clinique de l’amour », dans un roman, se dénature à un tel point qu’il faut que les Goncourt, avec bonne foi, protestent contre l’intention que vous leur prêteriez de composer des romans libidineux. Calomnie ! Et les Goncourt étaient l’austérité même. Seulement, le lecteur d’un roman n’est pas l’austérité même ; et vous l’avez induit en erreur, quand vous lui présentiez votre « clinique de l’amour », très scientifique, sous la forme d’un roman.

Ce qui rend plus singulière et malheureuse la volonté scientifique des Goncourt, c’est qu’ils n’étaient pas du tout faits pour la science. Il leur manquait ce que Flaubert appelle impassibilité, une tranquillité de jugement qui vous permet de voir clair et de ne pas mêler à