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l’objet que vous regardez vos préférences, vos antipathies, enfin votre émoi. Dans le passage que j’ai cité, où ils revendiquent pour le roman les libertés et les franchises de la science, un mot leur échappe : ils demandent que le roman soit une étude sérieuse, vivante et « passionnée ; » or, la science exige que l’observateur se dégage autant que possible de ses passions. C’est le premier devoir, et dont les Goncourt sont incapables. Ne s’en aperçoivent-ils pas ? Et ils le disent, non seulement avec la bonne foi qui est leur caractère, avec une espèce de coquetterie. Consultons-les sur eux-mêmes, qui se connaissent assez bien.

En 1872, ils avaient écrit, pour leur Journal, une préface où ils disaient : « Nous ne nous cachons pas d’avoir été des créatures passionnées, nerveuses, maladivement impressionnables, et par là quelquefois injustes. Mais ce que nous pouvons affirmer, c’est que, si parfois nous nous exprimons avec l’injustice de la prévention ou l’aveuglement de l’antipathie irraisonnée, nous n’avons jamais menti sciemment sur le compte de ceux dont nous parlons... » J’en suis sûr ! Toujours est-il qu’avec tout leur amour de la vérité les voilà passionnés, nerveux, maladivement impressionnables et fort incertains de ce qui leur a semblé la vérité. Le 17 janvier 1865, ils écrivent : « Notre Germinie Lacerteux a paru hier. Nous sommes honteux d’un certain état nerveux d’émotion. Se sentir l’outrance morale que nous avons, et être trahis par des nerfs, par une faiblesse maladive, une lâcheté du creux de l’estomac, une chifferie du corps. Ah ! c’est bien malheureux de n’avoir pas une force physique adéquate à sa force morale... » Qu’est-ce qui les tourmente ? Ils redoutent le scandale que fera Germinie Lacerteux, les poursuites peut-être, enfin mille ennuis. Bref, ils ont « les entrailles inquiètes ; » et « c’est la misère de nos natures si fermes dans leurs audaces, dans leurs vouloirs, dans leur poussée vers le vrai, mais trahies par cette loque en mauvais état qui est notre corps... » Conclurons-nous de là qu’ils sont les mêmes, tout frémissants, déraisonnables dans leur tâche d’observateurs et de romanciers ? Oui ; et à leur invitation, car ils ajoutent : « Après tout, ferions-nous sans cela ce que nous faisons ? La maladie n’est-elle pas pour un peu dans la valeur de notre œuvre ? » La maladie est pour beaucoup dans leurs ouvrages, mais ne donne pas à leurs ouvrages une qualité scientifique. Voilà des gens qui se réclament de la science et qui affichent, avec une loyauté peu réfléchie, tous les signes de leur inaptitude scientifique.

Leurs personnages sont des malades, à leur ressemblance. Ni