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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/451

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Colombo, le 24 janvier. — Je note la liste suivante de desiderata ; 1° La lingerie de 2e classe est beaucoup trop petite ; dans une cabine, il y avait un drap troué. 2° Salon des dames de 2e classe : les banquettes sont recouvertes en peluche ; sous les tropiques, cela devient intolérable. 3° La cabine du caissier trop petite. 4° Lavabo auprès du fumoir : il y faut une porte jouant dans les deux sens, comme sur le White Star, etc.


Ces détails paraîtront d’une minutie puérile. Mais aucune entreprise ne vit que par le détail. C’est par l’attention de tous les instants, par une réflexion assidue, qui portait aussi bien sur le type des navires que sur le rendement des machines ou l’entraînement des équipages, c’est par cette somme de travail et de perfectionnements que la direction de Ballin se montra inimitable. Comment ne pas admirer l’envergure d’un cerveau, capable d’embrasser le monde, et ne négligeant pas la cuiller sous la porte d’une armoire ?

C’est à l’année 1895 que remontent les relations de Ballin et de l’Empereur. Il s’agissait de la première « Semaine de Kiel. » L’Empereur devait inaugurer le canal sur le Hohenzollern, et deux navires de Brême et de Hambourg devaient porter ses invités à la suite du yacht impérial. Ballin réclama hardiment le premier rang pour Hambourg, puisque c’est sur son territoire que devaient se dérouler les fêtes. Guillaume II ne supportait pas une discussion en public ; toute contradiction le troublait : Ballin se tut, au milieu de l’assemblée consternée. Il se rattrapa aux fêtes, où il déploya son talent d’organisateur fastueux ; il y eut surtout un buffet froid qui fut un triomphe pour la Hamburg-Amerika. L’Empereur fut bon prince, et les rapports reprirent d’une manière que n’eût pas fait espérer ce regrettable début. La mer était la grande pensée du petit-neveu de Victoria. On était toujours sûr d’intéresser par là l’Empereur de l’ « avenir sur les eaux. » Ballin était son homme : Guillaume II le soignait, comme un propriétaire d’écuries soigne le cheval sur lequel il compte pour le prix de la course mondiale. A chacun de ses passages à Hambourg, le monarque ne manquait pas d’aller voir l’armateur et ne dédaignait pas même de s’asseoir à sa table. Il l’invitait à Potsdam, lui adressait des télégrammes pour ses anniversaires. De son côté, Ballin avait fait de grands progrès dans le rôle de courtisan. Il donnait au souverain des chasses impériales dans les