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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/477

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demander à l’Europe, ils risquent d’être assez mal reçus chez eux ; et, s’ils le rapportaient au prix de concessions aux principes « bourgeois, » ils auraient à rendre compte de leurs capitulations.

M. Tchitchérine et ses collègues bolchévistes ont bénéficié, à Gênes, des appétits tumultueux des gens d’affaires anglais en quête de concessions ; ils étaient venus mal assurés de l’accueil qui leur serait réservé, prêts sans doute à toute l’humilité nécessaire pour obtenir l’argent dont leur Gouvernement a besoin pour prolonger sa vie ; et voilà que l’impatience de M. Lloyd George, les prévenances de M. Schanzer, de demandeurs qu’ils étaient, les ont faits défendeurs. à lire la presse anglaise qu’inspire le Premier ministre, on croirait que le sort de l’Europe, et même le travail des ouvriers anglais, dépendent du bon vouloir du Gouvernement de Moscou. Que les commissaires du peuple russe acceptent ou rejettent le mémorandum qui leur est soumis, la question n’intéresse en réalité aucun travailleur anglais, mais seulement quelques spéculateurs ; et l’on serait tenté d’approuver M. Tchitchérine, quand il déclare qu’il ne livrera pas la Russie à l’exploitation d’un consortium de « capitalistes » internationaux, si lui, de son côté, prenait les mesures nécessaires et sollicitait les concours indispensables à une reprise de l’activité agricole et commerciale russe. Quant à l’industrie, il suffirait, pour qu’elle renaisse normalement et dans des proportions suffisantes, d’assurer aux anciens propriétaires d’usines la sécurité et la protection indispensables à une reprise progressive du travail. Mais, encore une fois, qui donc veut vraiment une restauration de la vie en Russie, si ce n’est sans doute la France ?

Pourquoi, alors, M. Tchitchérine et ses collègues font-ils figure de potentats dont les ministres des grands pays recherchent les faveurs, et à qui le roi d’Italie réserve son plus gracieux accueil ?[1]. C’est que les délégués bolchévistes apparaissent à Gênes comme les

  1. Voici exactement comment les choses se sont passées à bord du Dante Alighieri. Les détails précis ont ici une valeur historique et symbolique. Les délégations étaient arrivées avant le roi Victor-Emmanuel, et s’étaient rangées sur le pont. Le roi monte à bord, demande aussitôt : « Où est M. Lloyd George ? » se dirige tout droit vers lui, lui serre les mains, s’entretient un instant avec lui, puis descend dans son salon. Un maître des cérémonies s’approche des délégués des Soviets et les fait placer juste en haut de l’escalier par où reviendra le Roi ; les Allemands viennent se ranger derrière les Bolchévistes. Le Roi remonte, se trouve en face de M. Tchitchérine, lui tend la main, s’entretient un moment avec lui et ses collègues ; son attitude est cordiale et aimable, celle des Bolchévistes très humble. Le Roi, ensuite, par le aux Allemands, puis successivement aux autres délégations ; avec M. Barthou, le Roi s’entretient gracieusement de l’inclémence de la saison.